Érosion et protection de la biodiversité marine

Le nombre d’espèces marines en voie de disparition ne cesse d’augmenter tandis que le club très fermé de celle en voie de récupération compte peu de membres. Certaines de ces espèces bénéficient de l’attention du public et des gouvernements et font l’objet de mesures de protection spécifiques. D’autres restent dans l’ombre et disparaissent sans bruit. Vous allez voir que l’humanité est moteur de disparition d’espèces marines depuis de nombreuses années mais également que certaines mesures de protection sont également très anciennes. Vous vous apercevrez aussi que les motivations de protection d’une espèces sont très variées et que le bilan de nos efforts de protection est plus que mitigé.

C’est quoi la biodiversité ?

Tout d’abord qu’est-ce qu’une espèce au juste ? Ce terme très couramment utilisé par tout le monde, et même par les scientifiques, a en fait de multiples définitions. La plus connue définie l’espèce comme une population, ou un ensemble de populations, dont les individus peuvent effectivement ou potentiellement se reproduire entre eux et engendrer une descendance viable et féconde, dans des conditions naturelles. Comme cette définition n’est pas toujours valable, d’autres critères comme la génétique et la morphologie, sont également employés afin de réaliser une classification des êtres vivants. Aucune définition absolue de l’espèce ne fait consensus à ce jour dans la communauté scientifique et cela pose bien évidement de nombreux problèmes lorsqu’il s’agit de dresser une classification phylogénétique* du vivant. Cette classification est constituée de taxons, c’est à dire de regroupements d’êtres vivants présentant des caractéristiques similaires. En suivant ce mode de tri du vivant nous obtenons différentes catégories de groupes d’organismes vivants : domaine, règne, embranchement, classe, ordre, famille, genre et enfin espèce. De ce classement découle la nomenclature du nom scientifique (en latin) d’une espèce c’est à dire le nom du genre suivi de celui de l’espèce.



Difficile de s’y retrouver dans ce véritable labyrinthe du vivant. LUCA (Last Universal Common Ancestor en anglais) au centre représente le dernier ancêtre commun qui est un organisme théorique à l’origine de toutes les autres formes de vie. Cette arbre de ne montre pas la classification jusqu’à l’espèce qui en principe constitue l’extrémité des branches. Illustration : CC Spiridon Ion Cepleanu.

Pas facile de s’y retrouver dans cette classification du vivant qui ne cesse de se complexifier avec la description d’environ 20 000 nouvelles espèces chaque année. Pour faire simple, il faut retenir que l’espèce est l’unité de la biodiversité, et que cette dernière est tout simplement la diversité d’êtres vivants dans un milieu. Les espèces actuelles sont le fruits de plusieurs centaines de millions d’années d’évolution et de sélection naturelle. Comme vous allez le constater, ce phénomène de création est contrebalancé par des extinctions naturelles, et plus récemment par des facteurs qui le sont beaucoup moins.

L’être humain, un moteur moderne de la disparition des espèces

Oui vous lisez bien le titre. Si nous nous plaçons à l’échelle des temps géologiques, les extinctions naturelles d’espèces ont jalonné l’histoire du vivant sur notre planète bien avant les destructions engendrées par nos activités. Pour rappel l’apparition de la vie est datée à 3,5 milliard d’années (Ga). Ces extinctions ponctuelles sont liées à des changements locaux (comme l’arrivée d’un nouveau prédateur) ou globaux relativement lents comme les variations de la température (qui fluctue sans cesse depuis la création de la Terre).

D’autres extinctions dites massives ont durablement impacté la biodiversité à l’échelle de la planète. Le moteur de ce type de disparition des espèces est le plus souvent un événement extrême comme l’éruption de super volcans dont le cratère fait plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre. L’extinction la plus importante à notre connaissance s’est déroulée il y a 250 million d’années (Ma) et marque la fin du Permien et le début du Trias. Un complexe de super volcans entre en éruption dans l’actuelle Sibérie durant 1 Ma entraînant des coulées de laves colossales, une hausse importante de la température sur terre et dans la mer, ainsi que des nuages de cendre obscurcissant le ciel. Les scientifiques estiment que cette événement extrême a entraîné la disparition de 95 % des espèces marines et 70 % des espèces terrestres. Les seules traces de ces méga-éruptions sont les formations rocheuses appelées trapp**.

Le second moteur d’extinction massive est l’impact de météorites dont les cratères peuvent dépasser 100 km de diamètre. La plus connue de ces extinctions est celle des dinosaures il y a 66 Ma conséquence de la chute d’une météorite au niveau de l’actuelle Yucatan (Méxique). La chute seule de la météorite n’explique pas la disparition des célèbres sauriens (qui n’ont pas été les seuls à disparaître d’ailleurs). C’est plutôt l’obscurité quasi totale pendant plus d’un an et demi, et la baisse de la température de 15 °C qui en a résulté, qui a entraîné l’extinction de 50 % des espèces de la planète. Face à ces gargantuesques moteurs d’extinction, l’humanité serait totalement démunie si une météorite venait percuter la Terre ou si un super volcan entrait en éruption. L’espèce Homo sapiens ne serait finalement qu’un nom d’espèce disparue dans une très longue liste. Si nous n’avons aucun pouvoir face au grands phénomènes naturels d’extinction, notre action sur l’environnement entraîne la disparition d’espèces à un rythme qui s’accélère de façon inquiétante.


L’évolution de la biodiversité au cours du temps en lien avec différents facteurs (température, Co2 atmosphérique, niveau marin, trapps issues des éruptions volcaniques, impacts de météorites). Illustration : CC Spiridon Manoliu et Monica Rotaru.

Un nombre important de scientifiques estiment que nous sommes au commencement d’un phénomène d’extinctions massif des espèces sous l’action de l’Homme. Cette crise porte même un nom : la crise de l’Holocène en référence à la période géologique actuelle. Elle est décrite comme la sixième grande extinction et est comparée à celles décrites dans le paragraphe précédent. Depuis le XIXème siècle le taux moyen d’extinction est ainsi de 100 à 1000 fois supérieur au taux naturel et ce rythme s’accélère depuis 1950. Ainsi 744 disparitions d’espèces ont été recensées depuis l’an 1500 (date de la première observation de disparition).


Le phoque moine des Caraïbes (Monachus tropicalis) n’a été déclaré disparue qu’en 2008 alors que le dernier individus avait été observé en 1952. L’extinction de cette espèce de Phocidé est le fruit d’une chasse intensive depuis la fin du XVème siècle. Cette photo a été prise en 1910 à l’aquarium de New York. Photo : New York Zoological Society.

Après ce constat plutôt global (et franchement glaçant), il est maintenant temps de s’intéresser à ce qu’il se passe dans l’océan. L’érosion de la biodiversité sous l’action des activités humaines est un très vaste sujet dont cet article n’a pas la prétention de faire le tour en quelques milliers de mots. Revenons donc aux espèces marines.

Un rapport de 2015 de WWF fait état de la disparition de la moitié des espèces marines entre 1970 et 2012 due à des facteurs humains (pêche, développement côtier, pollution, réchauffement climatique). Ce constat alarmant doit être tempéré par les paramètres de l’étude qui s‘intéresse 10 380 populations de 3 038 espèces de vertébrés marins (240 000 espèces marines ont été décrites à ce jour). Ce chiffre reste plus que alarmant car il concerne un grand nombre d’espèces servant à nourrir l’humanité comme certains poissons ciblés par la pêcherie commerciale. Ce rapport met également en avant le manque de données pour un grand nombre d’espèces, nous mettant face au fait que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg que nous distinguons.

Les Scombridés (thons, bonites) font partie des espèces en déclin du fait de la pêche commerciale intensive. Leurs stocks s’effondrent depuis 1970 et les mesures mises en place pour inverser la tendance sont, au mieux, timides. Photo : CC Jonas Amadeo Lucas.

Comment sommes-nous arrivé à un tel résultat en si peu de temps ? Disons que si des extraterrestres étudiaient notre façon d’interagir avec le milieu marin, leur conclusion serait probablement que notre but est d’éradiquer toute vie le plus rapidement possible. Plus sérieusement et surtout plus objectivement, notre relation complexe avec l’océan est liée, à la base, aux besoins primordiaux de nos civilisations comme se nourrir, commercer ou obtenir de l’énergie.

Le problème est que ces activités se sont intensifiées exponentiellement en quelques siècles. La pêche s’est transformée en surpêche avec une consommation de poisson qui est passée de 9,9 kg par an et par personne dans les années 1960 à 19,2 kg en 2012. Avec 20 % d’espèces surexploitées, pas étonnant que certaines disparaissent en cours de route. Sans parler du chalutage profond qui détruit des écosystèmes entiers.

Le transport de marchandises a également explosé en 20 ans avec une augmentation de 300 % du trafic maritime et les perturbations que cela entraîne pour certaines espèces migratrices de cétacés (collisions, perturbations acoustiques). L’extraction de pétrole et de gaz en mer représente 1/3 de la production mondiale avec les risques de catastrophes écologiques qui intensifient.

Pêche de Menhaden de l’Atlantique (Brevoortia tyrannus) dans une soute de bateau de pêche industrielle. Ce poisson est massivement pêché et transformé en farine animale et utilisé comme source de phosphore, calcium et magnésium bioassimilable dans certains engrais et dans l’alimentation d’animaux domestiques et d’élevage industriel. Les populations de cette espèce sont en déclin du fait de sa surpêche.

A ces activités considérées comme essentielles, s’ajoutent d’autres qui le sont beaucoup moins (à part d’un point de vue économique) et sont liées aux activités touristiques. Le développement de complexes touristiques, de ports de plaisance et de plages artificielles impacte considérablement le milieu marin côtier, et peut avoir une incidences sur la population des espèces marines en détruisant des habitats servant de nourriseries. Les activités de loisir liées au tourisme comme la pêche, le nautisme (et l’ancrage qui y est lié), la plongée sous-marine et le snorkeling sont également une source de détérioration du milieu marin lorsqu’elles sont réalisées de façon intensives et répétées (ce qui est le cas dans toutes les zones touristiques).

La plage de l’Alga dans ma baie de Calvi au mois de juillet. Accueillir toujours plus de touristes au nom de la croissance économique perpétuelle. La capacité des sites naturels n’est pas infinie et les dégradations engendrés par cette surpopulation humaine entraîne de graves dommages sur les espèces marines et leur habitat.

Enfin, pour ne rien arranger, de la pollution sous la forme de déchets (plastiques, verre, mégots, métaux) et de substances chimiques (engrais, substances médicamenteuses, substances industrielles) est directement rejetée en mer ou bien provient du milieu terrestre via les fleuves et l’écoulement d’eau de pluie. La pollution venant de la terre constitue environ 80 % de la pollution marine. Les déchets plastiques sont ingérés par les espèces marines (même par le zooplancton microscopique) et se retrouve dans la totalité de la chaîne alimentaire jusque dans nos assiettes. Certaines espèces d’oiseaux marins ingurgitent tellement de plastiques que leur estomac explose et qu’ils en meure.


L’estomac de ce jeune albatros du Midway Atoll National Wildlife Refuge dans le Pacifique est complètement rempli de déchets plastique, causant ainsi sa mort. Photo : CC Chris Jordan.

Comme vous pouvez le voir ce ne sont pas les moyens qui nous manquent pour éroder la biodiversité marine et nous réalisons cette exercice méticuleusement depuis plusieurs siècles à un rythme qui s’intensifie chaque année. Ce constat mortifiant ne nous laisse pas tous insensibles et des moyens de protections sont mis en place afin de tenter de contrecarrer cette machine trop bien huilée. Mais avant toute chose il faut faire un état des lieux des dégâts.

L’UICN et sa liste rouge des espèces menacées

Il est inutile de mettre en place des mesures de protection des espèces sans connaître l’ampleur de l’érosion de la biodiversité. Il faut donc mener de front en permanence deux études : compléter l’inventaire des espèces (comme nous l’avons vu dans la première partie) et suivre l’évolution des populations des différentes espèces connues afin de tirer la sonnette d’alarme lorsqu’elles deviennent trop faibles. Ces missions essentielles ne peuvent pas être l’apanage d’un organisme national, mais nécessite une coopération internationale au vu de l’ampleur mondiale de ce phénomène. L’organisme international en charge de la protection des organismes vivants est l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN ou IUCN en anglais). Cette institution a été en créée en 1948 et se compose d’ONG et d’agences gouvernementales de 160 pays. A cette structure s’ajoute plus de 10 000 experts scientifiques.

L’une des missions de l’UICN – la plus connue du grand public – est le classement des espèces selon leur niveau de vulnérabilité face à l’extinction. Ce classement s’intéresse à 116 177 espèces (au moment de la rédaction de cet article). Cinq critères sont étudiés pour classer ces espèces : la taille de population, le taux de déclin, l’aire de répartition géographique, le degré de peuplement et de fragmentation de la répartition. Les différentes classes vont de la préoccupation mineure (LC, least concern en anglais) à effondré (CO, collapsed). Pour certaines espèces aucune donnée n’est disponible (DD, data deficient) tandis que d’autres ne sont pas encore évaluées (NE, not evaluated). La (malheureusement) fameuse liste rouge de l’UICN concerne les espèces menacées dites vulnérables (VU, vulnerable), en danger (EN, endangered) et en danger critique (CR, critically endangered).


Les différents degrés de vulnérabilité des espèces face l’extinction selon le classement de l’UICN.

Quel est le constat actuel dressé au niveau global par l’UICN ? Il est peu reluisant. Plus d’un quart des espèces étudiées sont menacées (31 030 espèces) soit 41 % des amphibiens, 14 % des oiseaux et 25 % des mammifères sont menacés d’extinction au niveau mondial. C’est également le cas pour 30 % des requins et raies, 33 % des coraux constructeurs de récifs et 34 % des conifères. Si l’on se penche exclusivement sur le cas des espèces marines le constat des espèces menacées est également très alarmant avec plus de 55 % des tortues marines, 20 % des pinnipèdes et des mustélidés marins, plus de 15 % des oiseaux marins, 5 % des serpents et reptiles marins, presque 10 % des siréniens et des cétacés et plus de 5 % des poissons à nageoires rayonnées diadromes ou d’eau saumâtre. Lorsque l’on consulte la liste des espèces menacées sur le site de l’UICN la première chose que l’on constate est la chute des populations des espèces étudiées. Il est important de garder à l’esprit qu’il existe un manque important de données concernant les espèces marines. Ainsi, certaines espèces dont la vulnérabilité n’est pas connue peuvent être en danger d’extinction voire s’éteindre sans que l’on en ait connaissance et pouvoir agir en conséquence.

Le denté commun (Dentex dentex) est considéré comme une espèce vulnérable (VU) et figure dans la liste rouge de l’UICN. Il est notamment la cible de la pêche professionnelle et récréative ainsi que de la chasse sous-marine.
La grande nacre (Pinna nobilis), espèce endémique de Méditerranée, est classée en danger critique d’extinction (CR) à cause de l’épidémie qui entraîne une mortalité de plus de 90 % dans ses populations.

Ces quelques chiffres devraient être une motivation suffisante à mettre en œuvre tous les moyens possibles pour enrayer ce phénomène. Vous allez cependant vous rendre compte que le choix de protéger (ou non) directement ou indirectement une espèce est le plus souvent dicté par des intérêts économiques ou bien encore sont liés à l’affectif porté par le grand public à une espèce.

Protection de la biodiversité marine : pourquoi et comment ?

Tout d’abord, quelles sont les motivations pour protéger une espèces ? Le principal moteur de protection est l’économie. L’exemple le plus connu en milieu marin est la pêche commerciale qui, en surexploitant certaines populations de poissons, de crustacés ou de mammifères marins, peu mener à leur disparition. C’est pourquoi les populations des espèces ciblées – ou bien d’un point de vue purement mercantile, les stocks – sont suivies par des experts scientifiques qui observent les débarquements aux ports ou bien embarquent directement sur les navires de pêche. Ces données sont compilées par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and agriculture organisation, FAO en anglais) qui publie une base de données sur la production mondiale des pêches de capture, y compris sur les flottilles, les pêcheurs et le commerce. La base de données donne ainsi des informations espèce par espèce et par grande zones de pêche. C’est à partir de cette base de données que les différents états ou groupements d’états (comme l’Union européenne) définissent des quotas de pêche afin d’éviter l’effondrement des stocks des espèces commerciales. Il est important de noter que ces quotas ne concernent pas la totalité des espèces pêchées à l’échelle industrielle.

Les différentes zones de pêche définies par la FAO. Source : www.fao.org.

Une autre motivation économique est de préserver une espèce pour générer des revenus touristiques. On estime par exemple qu’un requin vivant peut générer jusqu’à 2 millions de dollars par an. Le whale-watching (l’observation de baleines) génère quant à lui environ 2 milliards de dollars par an et plus de 130 000 emplois dans le monde. Cette manne financière est un véritable axe de croissance économique pour certains pays en voie de développement. Ce phénomène pousse ainsi certains pêcheurs à délaisser la capture d’espèces marines pour se transformer en guide naturaliste pour des touristes du monde entier. Ce type d’activité génère bien évidemment des emplois directs mais également beaucoup d’autres indirects (hébergement, restauration, transport, location de matériel). L’un des exemples les plus connus de cette métamorphose est le Costa Rica qui est devenu en quelques années le pionnier de l’écotourisme au début des années 2000. L’île de Malpeo au large de la côte Pacifique du pays est devenu une aire marine protégée (AMP) en 1995 avec une protection renforcée contre la pêche illégale et une régulation des activités touristiques dont la plongée sous-marine.

Ce requin bordé (Carcharhinus limbatus) d’Aliwal Shoal l’ignore sûrement mais il vaut son pesant d’or. En Afrique du Sud l’économie de l’écotourisme lié aux requins pèse environ 6 millions de dollars par an, tandis que la valeur de la pêche au squales est estimée à moins de 500 000 dollars.

Les AMP sont d’ailleurs d’importants moyens de protection des espèces. Le but d’une zone naturelle protégée, qu’elle soit terrestre ou marine, n’est pas de cibler la protection d’une espèce spécifique mais de préserver les habitats et tous les organismes qui y vivent. C’est par exemple le cas des mangroves, des récifs coralliens et des herbiers sous-marins qui sont à la base des écosystèmes marins les plus riches en biodiversité. D’autres secteurs marins protégés ne sont pas pensés en fonction des habitats du fond mais de la présence d’organismes vivants particuliers comme les tortues ou les mammifères marins (par exemple le sanctuaire Pelagos en Méditerranée occidentale). Les AMP dans le monde représente environ 3,5 % de la surface des océans et sont présentes principalement sur les zones côtières. En France, 23,5 % des eaux sont couvertes par au moins une AMP. La fonction des AMP ne se limite pas à la préservation des espèces. Ces zones spéciales fournissent également une manne financière pour l’écotourisme et permet de perpétuer la pêche artisanale en reconstituant les stocks halieutiques.

Un rorqual commun (Balaenoptera physalus) crève la surface au large de la Corse en plein cœur du sanctuaire Pelagos. Cette zone protégée internationale (France, Monaco, Italie) de 87 500 km² a été créée en 2002. Elle bénéficie de mesures de gestion visant à limiter l’impact de la pêche et du trafic maritime. Malgré quelques efforts locaux de protection, le rorqual commun est classé « vulnérable » (VU) par l’UICN à l’échelle mondiale.

Un autre moteur de protection d’une espèce est son intérêt patrimonial. Une espèce patrimoniale présente un intérêt scientifique, symbolique ou culturel. L’exemple le plus connu de Méditerranée française est le mérou brun (Epinephelus marginatus). Ses populations ont diminué jusqu’à un niveau critique dans les années 1990 du fait de sa surpêche professionnelle et récréative. Depuis 1993 et le moratoire interdisant sa capture, les populations de mérou brun se reconstituent, bien que l’espèce soit toujours considérée comme « en danger » (EN) et figure ainsi sur la liste rouge de l’UICN. Si le mérou possède un intérêt culturel et symbolique fort tout en étant une espèce plutôt esthétique (de grande taille avec de jolies couleurs), d’autres espèces moins sexy ont une importance scientifique ou écologique notable. C’est le cas par exemple des espèces formant des prairies sous-marines qui fournissent de nombreux services écosystémiques et économiques. Le moyen de protection le plus efficace d’une espèce patrimoniale est la loi interdisant tout prélèvement ou capture de l’espèce sous peine d’amendes ou de poursuites judiciaires.

La thalassia (Thalassia testudinum) est une plante sous-marine tropicale qui forme des prairies très denses (ici dans la Réserve Naturelle de Petite Terre en Guadeloupe). Cette espèce est protégée par la « Convention pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes » signée par la France en en 1983.

Enfin, le dernier moteur (et pas des moindres) est l’affectif porté à une espèce par le grand public. En milieu marin les exemples sont plus rares que sur terre mais ils existent belle et bien. Les « stars » sous-marines de la protection sont les mammifères marins. Les baleines, les cachalots, les dauphins, les phoques, les otaries, les lamantins disposent en effet d’un fort capital de sympathie. Cette tendresse pour ces animaux est cependant très récente au regard de l’histoire, datant seulement de quelques décennies et de l’émergence des films et des documentaires animaliers. A l’inverse, les espèces suscitant la peur et le dégoût ou étant perçues comme dangereuses bénéficient moins facilement d’un statut de protection. C’est le cas des requins dont les efforts de protection d’envergure sont très récents et datent de moins de 20 ans. Et enfin, il y a les espèces oubliées, les inconnues ou mal connues, les petites ou microscopiques, ou bien jugées moches, inutiles, communes ou banales. Ces délaissées de la protection voient leurs populations régresser dans l’indifférence. Cependant, les perpétuelles découvertes scientifiques sur le fonctionnement des écosystèmes marins et le rôle des organismes vivants font sortir de l’ombre certaines espèces qui bénéficient de l’attention du public et des autorités de protection de la nature.

S’ il est possible d’observer sans trop de difficulté des dauphins dans leur milieu naturel sur nos côtes (comme ici à la Ciotat en Méditerranée), c’est grâce aux efforts de protection constants depuis plusieurs dizaines d’années. La progression de la connaissance scientifique et l’émergence des films, dessins animés et documentaires n’y sont pas étrangers non plus. Signe que ces efforts portent leur fruit, le statut du grand dauphin (Tursiops truncatus) est classé « préoccupation mineure » (LC) par l’UICN.

Un bilan très mitigé

Après avoir vu les raisons et les moyens que nous mettons en œuvre pour préserver la biodiversité de nos activités destructrices, nous allons nous intéresser à l’envers de la médaille et aux limites de nos actions de conservation des espèces. Et malheureusement, notre effort de protection est souvent peu efficace à grande échelle. Reprenons donc dans l’ordre les moyens de protection décris précédemment pour faire le bilan de l’effet de ces mesures.

Tout d’abord intéressons-nous à la gestion de la pêche professionnelle. En théorie, le principe de quotas pour éviter l’effondrement des stocks devrait fonctionner, mais dans la pratique plusieurs facteurs limitent l’efficacité de cette méthode. Le premier est que les quotas sont parfois définis en se basant sur des données incomplètes ou faussées du fait de la difficulté à comptabiliser avec précision les quantités débarquées et aussi à évaluer la taille des populations pour certaines espèces commerciales. Deuxièmement, tous les gouvernements n’ont pas la capacité de faire respecter des quotas de capture. En effet, la mise en place d’une surveillance des captures et des débarquements nécessite des moyens financiers et humains importants. Enfin, un nombre important de captures illégales échappe à tout contrôle. La pêche illégale est pratiquée principalement en haute mer et dans les zones côtières des pays où les réglementations et les contrôles sont plus faibles. La pêche illégale représenterait 26 millions de tonnes par an quand la pêche légale représente 171 millions de tonnes par an.

Un navire de pêche illégale est intercepté et inspecté au large de Port Gentil (Gabon) par les autorités gabonaises renforcées par des forces européennes et américaines. Photo : C CU.S. Navy photo by Mass Communication Specialist 2nd Class David Holmes.

La préservation de la biodiversité via le développement de l’écotourisme présente également de sérieuses limites. Tout comme le tourisme classique entraîne une surfréquentation de certains espaces naturels, l’écotourisme en milieu marin peut mener à une trop grande accumulation de personnes à proximité d’animaux sauvages. C’est le cas de l’observation des baleines (whale-watching) dont la pression exercée sur la individus observés entraîne un changement du comportement des animaux. Ce constat est le même pour les requins avec les différentes méthodes permettant de les concentrer pour faciliter l’observation par les tourismes comme le nourrissage (feeding) ou l’appâtage (baiting). Des études scientifiques récentes vont jusqu’à poser la question du bénéfice à long terme de telles pratiques pour la survie des espèces ciblées.

Cette tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata) est prise d’assaut par les touristes au large de l’île de Cozumel (Mexique). La pression de l’écotourisme sur les tortues est de plus en plus forte, particulièrement au moment de la ponte et peut modifier leur comportement. La tortue imbriquée est classée « en danger critique » (CR) par l’UICN, le dernier niveau avant l’extinction.

Plus globalement, la surfréquentation des écotouristes des sites naturels marins, et plus particulièrement dans les aires marines protégées (AMP), est montrée du doigt par les autorités et les ONG du fait de leur impact sur les habitats marins terrestres et subaquatiques. Les exemples récents ne manquent pas. L’un des plus marquants est celui de la réserve de Scandola sur la côte ouest de la Corse qui, sur avis d’expert, va perdre son label de réserve naturelle décerné par le Conseil de l’Europe qu’elle détenait depuis 1985. Une autre limite des aires marines protégées est le manque de moyens financiers, humains et matériels mis en œuvre pour assurer le respect des réglementations au sein de leur enceinte. La tendance actuelle est ainsi à la création de gigantesques zones marines protégées avec seulement quelques dizaines de personnes (voir moins) pour les gérer. De plus, malgré la taille grandissante des AMP, à peine plus de 3 % de la surface des océans est soumis à une réglementation spécifique alors que les scientifiques estiment qu’il en faudrait au moins 30 % de zones protégées à l’échelle mondiale pour obtenir un effet significatif sur la préservations de la biodiversité. Enfin, une étude scientifique d’avril 2020 se concentrant sur les AMP de Méditerranée, souligne le fait que la réglementation en vigueur dans ces zones est trop permissives, réduisant ainsi leur action de protection des espèces marines.

Face à la surfréquentation des bateaux de location dans son enceinte, le Parc National des Calanques (Bouches-du-Rhône) met en place en mai 2020 une autorisation d’accès pour ce type de navire.

Pour terminer sur ce bilan plus que mitigé, il est important de noter que même les espèces disposant d’un important capital de sympathie ne sont finalement pas mieux protégées. Les baleines sont de nouveau pêchées en masse en Antarctique par le Japon sous des prétextes scientifiques fallacieux. De nombreux dauphins, épaulards et pinnipèdes*** sont toujours exhibés partout dans le monde (et même en France) dans des conditions abominables. Les oiseaux marins qui font notre émerveillement sont tués par nos plastiques que nous rejetons en masse dans les océans. Alors oui, avoir l’attention du grand publique n’est pas forcément utile pour bénéficier d’une protection efficace.

Ce dauphin du Dolphin Center de Moorea (Polynésie Française) est né en captivité et ne peut pas être relâché en peine mer du fait de son âge trop avancé. Il évolue dans un environnement naturel mais clos au sein d’un complexe hôtelier. Le Dolphin Center propose aux touristes de se mettre à l’eau avec ses trois dauphins par groupe très réduits en compagnie de spécialistes. Le centre ne souhaite pas accueillir de nouveaux dauphins et condamne très fermement les massacres de cétacés dans le monde et les delphinarium achetant des animaux capturés en milieu naturel.

Le mot de la fin

Cet article vous a peut être paru long mais ne fait qu’effleurer le sujet de l’érosion et de la conservation de la biodiversité marine. Si le bilan de nos efforts de protection face à notre capacité de destruction est peu réjouissant, de nouvelles actions et méthodes de préservation des espèces marines sont mises en place en permanence. Les anciennes méthodes sont analysées et critiquées afin de les faire évoluer. La conscience de l’importance de la conservation des espèces est de plus en plus importante dans le grand public qui commence à demander au pouvoir politique des actions concrètes et efficaces, en contradiction avec les prises de décision souvent molles et peu effectives des 40 dernières années. Malheureusement la machine de destruction s’emballe et de nombreuses espèces ont déjà disparue ou vont disparaître de façon certaine. Une chose est certaine nous ne pouvons plus stopper notre force de destruction massive. Pouvons-nous seulement la freiner pour sauver le plus d’espèces possibles de l’extinction fonctionnelle ? Rien n’est moins sûr. Mais j’espère que l’avenir me fera mentir.

Glossaire

*Classification phylogénétique : un système de classification des êtres vivants qui repose sur la phylogénie, c’est à dire l’étude des relations de parenté entre êtres vivants.

**Trapp : vient du mot suédois voulant dire « escalier » en référence à la forme que prennent les coulées basaltiques de méga éruption suite à leur érosion par l’écoulement de l’eau.

***Pinnipèdes : mammifères marins semi-aquatiques aux pattes en forme de nageoires comme les phoques, les morses et les otaries.

Pour en savoir (beaucoup) plus

Baraud L., OFB (2020) Les espèces marines protégées en France. Identification et régime juridique (pdf)

Burgin S., Hardiman N. (2015). Effects of non-consumptive wildlife-oriented tourism on marine species and prospects for their sustainable management. Journal of environmental management, 151, 210-220. (pdf)

McCauley D. J., Pinsky M. L., Palumbi S. R., Estes J. A., Joyce F. H., Warner R. R. (2015). Marine defaunation: animal loss in the global ocean. Science, 347(6219) (pdf)

WWF (2015) Rapport planète vivante océans. 72p (pdf)

Le site internet de l’UICN (en français) de la liste rouge des espèces menacées : https://www.iucnredlist.org/fr/

L’auteur

Arnaud Abadie est un écologue marin et un photographe subaquatique. Biologiste marin en Méditerranée pendant dix ans, il est désormais chargé d’études milieu marin à l’Agence de l’Eau Artois-Picardie. Arnaud est le fondateur de Sea(e)scape et l’un de ses contributeurs régulier.

1 thought on “Érosion et protection de la biodiversité marine

  1. constat glaçant mais malheureusement réaliste de la situation
    article à diffuser dans tous les degrés de l’enseignement de la maternelle à la fac…
    à quand l’action de nos politiques et l’aide urgente pour que les scientifiques puissent enfin avoir les moyens d’agir!!

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