Dix questions à Sylvie Gobert

Sylvie Gobert est professeure et directrice du laboratoire d’Océanologie biologique à l’Université de Liège en Belgique, ainsi que directrice de recherche à la STARESO en Corse. A travers dix questions, Sylvie partage avec nous son parcours, son expérience à sa vision de l’évolution des sciences marines au cours des 30 dernières années.

La Wallonie est fort éloignée de la mer. Comment est née ta passion pour le milieu marin ? Quel est ton parcours ?

Effectivement La Wallonie est « loin » (200 km) de la mer mais en Belgique c’est bien connu, il pleut beaucoup ! On a pas peur de se mouiller !

C’est par la plongée que je suis arrivée à l’Océanographie. Mon papa a commencé à faire de la plongée quand j’avais 10 ans, dès que j’ai pu, je l’ai suivi : à la piscine, dans les carrières et ensuite en mer lors de nos vacances (en Mer du Nord, Atlantique, Adriatique, etc.). Je cassais les pieds à tout le monde avec les noms des bestioles et algues « reconnues »  dans un ou l’autre livre de Cousteau.

Tout naturellement, à 13 ans (on est alors en 1980), j’ai décidé que je serais océanographe, que j’irais faire mes études à l’Université de Liège puisque je m’étais renseignée (sans internet) : c’était là qu’on pouvait accéder à cette profession.

Donc à 18 ans, j’ai quitté la maison et grâce à mes parents, j’ai commencé des études en Biologie pour pouvoir accéder après 4 ans à une Licence et une Maîtrise en Océanographie, et une thèse de doctorat sur les posidonies. Ensuite, mon parcours est assez classique mais déjà à l’époque, il fallait s’accrocher et durant toutes ces années je me suis toujours dit que si je devais partir avant d’avoir un poste définitif, j’aurais au moins fait ce que j’aimais pendant un maximum de temps !

Ainsi pendant 8 ans, j’ai travaillé sur des contrats de 6 mois, un an sur divers projets (en écotoxicologie marine, sur le mammifères marins en Mer du Nord; le cycle du carbone dans les posidonies en Méditerranée), ensuite des postes scientifiques temporaires pour donner des cours en océanographie et organiser les stages de terrain des étudiants en Corse (pendant 6 ans) et enfin une nomination dans le personnel scientifique permanent en 2006 et comme professeur en 2014.

La proximité avec la mer du laboratoire de la STARESO offre la possibilité aux chercheurs de l’Université de Liège d’analyser rapidement les échantillons récoltés en mer.

Quel est le lien de la ville de Liège avec la recherche océanographique ?

Le lien entre la ville de Liège et l’océanographie, c’est l’Université avec une volonté de développer l’océanographie exprimée dès 1950. A l’époque, Le Recteur (=le Président) de l’Université a conscience qu’on connaît peu du milieu marin et que pour le comprendre et en exploiter les ressources, il faut mieux le connaître mais pas avec une approche classique : la biologie par les biologistes d’un côté, la chimie par des chimistes de l’autre, …, mais bien par une approche intégrée ou le scientifique aura la formation pour pouvoir comprendre un phénomène du milieu marin avec des connaissances de biologiste marin, de chimiste océanographe, … Ainsi, avec ses collègues, Le Recteur lance un formation universitaire en océanographie, cette formation (qui existe toujours actuellement) forme des océanographes capables de comprendre la biologie, la chimie, la physique, la géologie des océans.

Quelles sont les thématiques de recherche du Laboratoire d’océanologie biologique que tu diriges ?

Avec mes collaborateurs, nous travaillons en écotoxicologie marine, dans toutes les régions du monde depuis l’Arctique jusqu’en Antarctique en étudiant les transferts de polluants – nous sommes spécialiste des éléments traces « classiques » comme le plomb, le mercure, le zinc, l’arsenic et « émergents » (des éléments utilisés dans les nouvelles technologies : téléphonie, batteries, etc.) comme le titane, le bismuth, le vanadium. Nous en mesurons les concentrations dans l’eau, le sédiment, les organismes (plancton, moule, mammifère marin) pour savoir comment ces polluants se comportent mais aussi pour en connaître les effets sur la physiologie des animaux et des végétaux marins et pour prédire leurs effets sur la santé humaine (consommation des produits de la mer).

L’étude des paramètres physico-chimiques de la colonne d’eau fait partie des sujets de recherche du laboratoire d’Océanologie biologique dont Sylvie est responsable.

Un autre axe majeur de notre laboratoire est la compréhension des écosystèmes marins par l’étude des transferts du carbone, de l’azote et l’étude des réseaux trophiques. Exprimée de manière simplifiée, nous étudions qui mange quoi (herbivore, carnivore, nécrophage), qui mange qui (top prédateur, piscivore) et qui mange où (zone côtière, abysse). Nous pouvons ainsi comprendre le fonctionnement des écosystèmes marins (mais aussi comprendre comment se fait le transfert des polluants: première thématique de mon laboratoire).

Comment partages-tu ton temps entre la recherche et l’enseignement ? Quelles sont les difficultés pour assurer ces deux fonctions ?

Si je devais remplir un calendrier de mon emploi du temps aujourd’hui, je pense que la conclusion serait que je passe 40% de mon temps à des charges administratives et de gestion, 40% pour l’enseignement et donc 20% pour la recherche.

Mais pour moi ces deux fonctions recherche et enseignement sont imbriquées. Évidemment, un cours se prépare si on tient à faire passer ce que l’on connaît. Cette préparation ne se fait pas de la même manière que la conception d’un projet ou d’une expérience même si dans tous les cas, une explication, rédaction conceptualisation claire (et qui paraît donc simple) donne plus de résultats qu’un « charabia complexe ». J’essaie toujours d’illustrer mes cours avec des exemples de recherches personnelles ou de collègues, je fais participer les étudiants aux cours (inutile d’espérer venir terminer sa nuit au fond de l’auditoire ou près du radiateur, tout le monde aura son tour devant la classe !).

Tu es une spécialiste des plantes sous-marines et notamment de la posidonie en Méditerranée. Qu’en est-il de l’état des herbiers en Méditerranée face aux activités humaines et au réchauffement climatique  ?

Même si j’ai la chance d’avoir accès à un site très bien préservé ici en Corse, avec un herbier en très bon état (ce qui permet de réaliser des observations « naturelles »  qui sont impossibles dans des endroits très impactés par l’activité humaine car ce qu’on y mesure sont les conséquences des réactions à l’anthropisation), les herbiers, qui sont en fait les forêts sous marines de La Méditerranée, sont, dans beaucoup de régions, altérés par les activités humaines. Évidemment le changement climatique aura des effets directs sur la physiologie de la plante et indirects par les modifications des populations : espèces envahissantes, pathogènes.

Une menace terrible sur les herbiers, qui pourrait être réduite par des mesures assez simples, c’est son morcellement par les ancrages des bateaux. Pour visualiser le carnage qui se déroule de manière silencieuse, imaginez la scène suivante : vous décidez de prendre l’apéro ce dimanche en pleine forêt amazonienne, vous y allez en famille avec votre hélicoptère. Pour vous poser, il vous faudra couper une surface nécessaire à l’atterrissage de cette forêt millénaire. Quelques minutes plus tard, votre verre terminé, vous rentrez à la maison pour diner, en décollant vous arrachez encore quelques dizaines de mètre carré d’arbres et de ce qui vit dessus. Après votre départ, la pluie s’infiltrera dans la brèche que vous aurez créée et continuera de dégrader la forêt qui pourra peut être revenir à son état initial dans quelques centaines d’années. RIDICULE !!, pas tant que cela, cette fadaise n’en est pas une, c’est une réalité. A chaque relevé d’une d’ancre accroché dans l’herbier, des faisceaux de posidonie sont arrachés et l’herbier est morcelé, les courants érodent les parties abimées, il faut environ un siècle pour recoloniser un mètre carré.

Quelles sont les activités menées par ton laboratoire à STARESO ?

Une partie de nos mesures, observations, prélèvements est lié à des projets de recherche menés en totalité ou en partie en face de STARESO. C’est une station de recherche exceptionnelle à plus d’un titre : nos sites sont accessibles directement en plongée depuis la base, à quelques miles au large (20 minutes en bateau), nous sommes au pied de canyon sous-marin ; tout ceci accessible 24H/24 et toute l’année. Aucune station marine de Méditerranée ne bénéficie d’un accès pareil avec des telles conditions de préservations !

Nos étudiants en profitent également pour leur stage de terrain durant le master et pour venir conduire leurs recherches de mémoire ou de doctorat.

Au final, je passe presque 3 mois par an en Corse.

La plongée sous-marine peut occuper une part très importante des recherches de terrain en océanologie. A quoi ressemble une plongée type de biologiste marin (si une telle chose existe) ?

C’est une des particularité de notre laboratoire, une partie de nos résultats sont issus d’expériences menées in situ, des heures et des heures d’observation, de comptages.

Sylvie est sur tous les fronts et n’hésite pas à se mouiller pour étudier les écosystèmes marins.

Il n’y a pas effectivement de plongée type mais une chose est certaine, sans préparation, ce type de plongée devient vite un fiasco (perte ou oubli de matériel, perte des échantillons, prise d’échantillons inutilisables). On aurait tendance à l’oublier car cela à l’air si simple mais dans l’eau rien n’est comme d’habitude : des objets qui coulent ou flottent et donc que vous perdez dès que vous les lâchez ; difficile d’improviser et d’expliquer votre nouvelle procédure à votre compagnon de plongée (vous aurez juste en face de vous deux grands yeux interrogatifs perdus dans un masque !) . Le temps est compté : la saturation en azote doit être prise en compte, la quantité d’air dont vous disposez est limitée par le volume de votre bouteille ; il peut faire froid : essayez de visser, piquer, découper dans une eau à 13°C, les doigts s’engourdissent. Chaque mise à l’eau fait l’objet d’une préparation mais aussi d’un débriefing qui permettra de mettre au point le petit objet, outil qui nous fera gagner 5 minutes.

Au cours de ta carrière tu as vu évoluer les techniques et les pratiques scientifiques. Quelles ont été les plus grandes avancées des 25 dernières années ?

Oui, oups, cela fait presque 40 ans que je plonge (pas d’ordinateur de plongée, pas de manomètre, pas de gilet stabilisateur)! Le matériel a évolué : plus performant et confortable, les mélanges gazeux utilisés pour des plongées différentes (plus longues, plus profondes, moins fatigantes); les règlements, eux, sont devenus plus sévères et contraignants pour la sécurité de tous. Il n’est pas raisonnable de raconter ce que nous faisions « à l’époque » (clin d’oeil).

Pour nos recherches, il y a maintenant des appareils, techniques qui peuvent acquérir en routine les données que nous mesurions une par une il y a des années (pour des cartographies, comptages, …) mais la validation se fait toujours avec l’œil de l’expert qu’aucune machine n’a encore remplacé.

Lorsque l’on se penche sur l’histoire des sciences il est clair que les femmes en ont été écartées depuis son commencement pour des raisons infondées. Ce constat malheureux est bien évidemment fait dans tous les domaines de la société. Comment ont évolué les mentalités dans les sciences ? Quelles évolutions sont encore nécessaires pour atteindre une égalité femmes/hommes dans les laboratoires ?

Depuis toujours, je vis entourées de garçons : que des frères, peu de cousine, inscrite dans une école de garçon la première année obligatoire de la mixité des établissements scolaires : bilan 900 garçons et 30 filles, encore maintenant dans bons nombres de réunions auxquelles je participe (scientifique ou académique), les femmes sont minoritaires. Et oui ! Il m’est arrivé régulièrement de subir la misogynie de certains mal élevés.

Mais les choses changent, avec une volonté d’augmenter la présence féminine à tous niveaux. J’ai l’impression qu’avec la mixité depuis la crèche, les jeunes générations font moins de différence, en tout les cas elles sont discutées plus librement, avec moins de tabou. Pour d’évoluer, il faut continuer l’éducation (dans les familles, les écoles, les universités, les entreprises) dans ce sens portée par une volonté similaire active des pouvoirs politiques.

Selon toi quels sont les prochains défis en sciences marines ?

Une meilleure connaissance des milieux marins pour la mise en place efficace de développements durables locaux et à l’échelle de la planète.

Propos recueillis par Arnaud Abadie

1 thought on “Dix questions à Sylvie Gobert

  1. avec des réponses accessibles aux néophytes le constat est clair et radical malheureusement
    Des personnes impliquées comme Sylvie Gobert sont essentielles à la sauvegarde des océans
    MERCI pour son implication et dévouement

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