Vingt mille jeux sous les mers : le littoral, la mer, un jeu vidéo

Plus populaires que jamais depuis leur création il y a plus de quarante ans, les jeux vidéos explorent toutes les thématiques que l’imagination humaine est capable de produire. L’océan est très présent dans de nombreuses productions vidéoludiques. Cependant peu de jeux ont pour thématique centrale l’exploration des fonds marins, la biodiversité ou l’écologie. J’ai plongé pour vous dans ma ludothèque pour dénicher quelques unes de ces pépites rares et décortiquer les références aux sciences marines. Bienvenu dans le monde sous-marin pixelisé !

Sauf mention contraire l’ensemble des images tirées des jeux ont été réalisées par l’auteur de l’article. Leur utilisation sans son autorisation est interdite.

Un instrument de mesure scientifique comme premier jeu vidéo

Commençons par une anecdote essentielle à l’histoire du jeu vidéo et souvent méconnue. Le premier jeu vidéo a été créé en 1958 par le physicien William Higinbotham et l’ingénieur Robert V. Dvorak. Il s’agit du fameux Tennis for Two qui tourne sur un ordinateur analogique. Pourquoi cette idée farfelue pour l’époque ? Tout simplement pour rendre les journées portes ouvertes annuelles de leur université plus attrayantes.


Reproduction du premier système de jeu vidéo de 1958. Ne cherchez pas l’écran géant Ultra HD 8K 120 fps. Le moniteur c’est le cercle sur la machine à droite. Photo : Brookhaven National Laboratory.

Le premier lien entre les sciences et le jeu vidéo est donc très fort. Ce file rouge s’épaissit et parfois se rompt dans l’enchaînement des parutions de jeux vidéos depuis plusieurs dizaines d’années. Les sciences marines ne sont pas en reste. L’océan et ses créatures restent des éléments omniprésents dans une multitude de productions plus ou moins récentes.

L’évolution de la technologie et de la technique ont permis au fil des décennie de proposer des machines (ordinateurs et consoles) toujours plus puissantes. Cette capacité de calcul accrue de façon exponentielle permet désormais modéliser numériquement des univers de jeu d’une grande complexité où il nous est possible d’interagir de nombreuses façons.

Dans la suite de ce premier article (d’une série de trois) nous allons voir quelques jeux remarquables qui de façon plus ou moins subtile insuffle à notre imaginaire un peu d’embruns salés et de biodiversité marine.

Sur la plage abandonnée coquillages et monstres à tabasser

Le lien le plus évident entre jeux vidéos et milieu marin trouve sa forme la plus commune dans la carte du monde virtuel qui prend souvent la forme d’un morceau de littoral, d’une île, voire même d’un archipel (plusieurs îles). Les quelques flots qui viennent lécher le rivage des mondes dits « ouverts » ne sont parfois qu’un prétexte pour y faire circuler des engins motorisés. Mais parfois, même quand il est impossible de ce déplacer dans l’eau, un soin particulier est apporté à la modélisation du monde marin.

Un crabe contre un requin (avec des bras) qui se confrontent dans un environnement marin privé de son eau dans le Tiny Tina’s Wonderlands (2022), spin-off de la série Borderlands. Tous les délires sont permis dans le jeu vidéo.

A noter que le genre du jeu influe sur les interactions possibles avec l’environnement. Ainsi vous aurez plus l’occasion d’aller voir ce qu’il se passe sous la surface ou au bord de la mer dans un jeu d’action/ aventure, un RPG (jeu de rôle) et certains jeux de plateforme, plutôt que dans un jeu de combat ou de course. D’ailleurs, la plupart du temps, un bestiaire marin n’est qu’un prétexte pour fournir des monstres à abattre à grand renforts d’armes et de sorts diverses.

Zelda et les rivages d’Hyrules

Dans la constellation de jeux qui répondent à la définition du jeu-littoral, certains se détachent particulièrement du lot. C’est par exemple le cas de la série The Legend of Zelda. La biodiversité aquatique d’eau douce et salée y est omniprésente sous l’apparence de monstres, de peuples (les zoras) ou directement sous la forme d’espèces animales (poissons, pieuvres, crabes, oiseaux).


La surface d’une lagon du royaume d’Hyrule dans The Legend of Zelda – Tears of the Kingdom laisse entrevoir des récifs coralliens colorés aux formes diverses.

Cette composante est particulièrement présente dans l’épisode The Wind Waker sorti en 2002 sur la console Nintendo Game Cube avec sa vaste carte marine semée d’îles. Il en va de même dans sa suite Phantom Hourglass sur la console portable Nintendo DS). Plus récemment ce sont les épisodes Breath of The Wild et Tears of the Kingdom avec une aire de jeux immense comprenant des côtes et des îles ainsi qu’une biodiversité relativement fournie : poissons d’eau douce et de mer, crabes, escargots aquatiques, grenouilles, oiseaux marins et de zones humides, et la liste est longue !

Les plus plus observateurs d’entre vous qui se sont frottés au mythique épisode Ocarina of Time auront peut-être remarqué un détail biologique intriguant. Dans le fond du bassin du laboratoire situé au bord du Lac Hylia se trouve un requin blanc (Carcharodon carcharias) derrière des barreaux. Cette espèce cependant ne peut vivre en eau douce contrairement au requin bouledogue (Carcharhinus leucas). De plus le requin blanc supporte très mal la captivité et vous ne le verrez donc jamais en aquarium.


Le fameux requin blanc du laboratoire du lac Hylia dans The Legend of Zelda – Ocarina of Time. Terrifiant n’est-ce pas ? Il s’agit ici de la version Nintendo 3DS du jeu (2011). Le requin est encore plus pixelisé dans sa version d’origine sur Nintendo 64 (1998).

L’estran du Japon médiéval

Parmi les jeux marquants se trouve également Ghost of Tsushima sorti en 2020 sur Playstation 4. Son histoire se déroule sur une île imaginaire du Japon à l’époque féodale. Point de possibilité de nager sous l’eau mais la biodiversité marine de l’estran (la zone de balancement des marées) est plutôt fidèlement représentée pour un jeu vidéo.

Des algues brunes se développent sur le littoral. Les rochers arrosés par les embruns sont colonisés par des coquillages et des anémones. Des crabes fuient à l’approche du protagoniste et des oiseaux marins cherchent leur nourriture sur le sable. Ajoutons à cela la modélisation de la mer mouvante avec l’onde des vagues qui approchent de la côte.


La zone de balancement des marées de l’île japonaise de Tsushima (Ghost of Tsushima) sont riches en en biodiversité marine. Ici des algues brunes très fidèlement représentées. Notez aussi la zone de sable plus sombre qui correspond à son humidification par la mer.

Vision marine d’Azeroth

Certains mondes vidéoludiques offrent au joueur un terrain de jeu immense qui nécessitera des centaines d’heures d’exploration pour en découvrir tous les secrets. Cela se vérifie particulièrement dans le genre des jeux de rôle en ligne massivement multijoueur (ou massively multiplayer online role-playing game, MMORPG en bon anglois). Parmi le grand nombre de licence de ce genre apparu à la fin des 1990 figure en bonne place World of Warcraft développé par Blizzard et sorti en 2004 aux États-Unis (2005 en France) sur PC.

Les quêtes épiques de ce jeu en ligne se déroulent dans le vaste monde d’Azeroth au relief et aux biomes très variés. La carte du jeu parle d’elle même. Deux continents se font face (Kalimdor à l’ouest, les Royaumes de l’est… à l’est). Un vaste océan les sépare avec en son centre le Maelström. Pour compléter cette pléthore de terres émergées, des grandes îles parsèment l’étendue océanique. Toutes ces zones terrestres comportent autant de littoraux, de rivières, de lacs, de fjords à explorer avec leur biodiversité spécifique. Il faut également compter sur le royaume sous-marin de Vashj’ir avec ses cités, ses épaves et ses habitants homme/femme-serpent-poisson (les Nagas).


Quoi ?! Une loutre violette ?! Tout va bien vous êtes en Azeroth.

La biodiversité aquatique de World of Warcraft est un mixte entre des espèces (quasi) réelles et des bestiaires mythologiques de toutes les cultures. Aux côtés des poissons, crocodiles, crabes, mammifères, requins, pieuvres et autres animaux bien connus vous retrouverez des léviathans, des krakens, des sirènes et les célèbres Murlocs au cri si caractéristique. La végétation subaquatique est également bien présente que ce soit en mer ou en eau douce.

Et que faisons nous dans le jeu avec tous cet incroyable bestiaire ? Quels sont les interactions ? Eh bien principalement le combat. Le but est souvent de tuer une certains nombre de bestioles pour récolter des ressources ou remplir des quêtes. Ou tout simplement tuer un boss. Nul besoin d’épiloguer sur ce principe qui est la base de tout MMORPG c’est-à-dire accepter des quêtes, vaincre des ennemis, récolter du butin et recommencer, le tout à plusieurs.


Ok la bestiole à gauche est une requin blanc un peu bouffi. Par contre celui à droite j’ai du mal avec le terme cétacé. D’accord son modèle est un requin-baleine. Mais ça reste un squale… Ah oui c’est vrai on s’en moque on est dans un jeu vidéo.

Le mot de la fin

Nous avons pu voir dans cette première partie que le milieu marin (et plus largement aquatique) est une composante souvent présente dans certains genres de jeux vidéos. Il ne s’agit ici que de quelques exemples de licences bien connues du grand public. J’aurais bien évidemment put parler de Grand Theft Auto V et de ses phases d’exploration en sous-marin, de No Man’s Sky et ses planètes générées de façon procédurale (dont certaines avec toute une vie aquatique), des environnements aquatiques de la série Super Mario, d’une multitude de licences de jeux de rôles au riche bestiaire aquatique (comme Dragon Quest et Final Fantasy) et la liste est interminable.

Quoi qu’il en soit ces touches marines dans le premier média cybernétique de masse est un moyen certains d’atteindre un public qui ne se serait pas forcément intéressé à la thématique de l’environnement marin autrement. Certaines de ces images s’imprime dans l’esprit du joueur et participe à un imaginaire collectif des mondes sous-marins. Cela peut également pousser à s’informer de façon poussée sur le sujet, voire susciter des vocations.


Même les murs des villes de la baie de San Francisco dans Watchdogs 2 (2016) font la promotion du milieu marin !


Dans le second article de cette série nous percerons le miroir de la surface des océans (imaginaires) pour nous intéresser aux jeux vidéos d’exploration sous-marine. Des plus réalistes qui vous permettent d’explorer les abysses de notre bonne vielle Terre, aux plus fantasques qui nous amènent sur des planètes éloignées. Un programme bien chargé avec des jeux éblouissants tant pour les yeux que pour l’esprit.

L’auteur

Arnaud Abadie est un écologue marin et un photographe subaquatique. Biologiste marin en Méditerranée pendant dix ans, il est désormais chargé d’études milieu marin à l’Agence de l’Eau Artois-Picardie. Arnaud est le fondateur de Sea(e)scape et l’un de ses contributeurs régulier.

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