Circulation atlantique en péril

Le changement climatique impacte-t-il le fonctionnement des masses océaniques ? Voici quelques éléments de réponse dans l’Atlantique.

Quand le changement climatique bouleverse l’océan Atlantique

Le changement climatique bouleverse profondément et durablement le fonctionnement des océans de notre planète, qui n’en forment en réalité qu’un seul et unique. Les changements induits par l’augmentation de la température de l’atmosphère terrestre vont jusqu’à modifier la circulation océanique mondiale. L’océan Atlantique, tout particulièrement, cristallise l’intérêt du public du fait des derniers travaux scientifiques qui viennent réviser notre connaissance des processus en jeu.

Ralentissement et arrêt du Gulf Stream. Nouvelle ère glaciaire en Europe. Réchauffement rapide des eaux de surface. Tout et son contraire est lu et entendu dans les médias sur le futur de l’Atlantique. Le plus souvent sous la forme de récit assurés et alarmistes qui nous font présager le pire dans les décennies à venir. Mais que nous nous disent réellement les scientifiques sur ce phénomène.

La circulation de l’Atlantique Nord : AMOC

Tout d’abord, il est nécessaire de savoir comment fonctionne la circulation des masses d’eau océaniques. C’est très simple. La salinité et la température dune masse d’eau conditionnent sa position et sa circulation entre la surface et le fond (circulation dite thermohaline). Les masses d’eau chaudes émergent dans les zones subtropicales et circulent plus près de la surface, tandis que les eaux froides plongent aux pôles et circulent plus en profondeur. Ce tapis roulant mondial permet notamment de capturer le carbone atmosphérique et de le garder prisonnier pendant 1 000 ans. A cela s’ajoutent les courants de surface (comme le Gulf Stream) qui sont générés par la combinaison de la force de Coriolis et des vents.

La portion de tapis roulant mondial de l’Atlantique a pour nom AMOC ou, en complet et bon français, « circulation méridienne de retournement de l’Atlantique ». Comment le changement climatique agit-il sur ces eaux circulant en surface depuis l’équateur, pour se diriger vers le nord, puis plonger au niveau de l’Arctique et retourner vers le sud ?

Ralentissement de l’AMOC

En se réchauffant le Groenland voit ses glacier fondre toujours plus rapidement. Les eaux douces issues de cette fonte viennent se mêler à celles de l’Atlantique Nord en diminuant leur salinité, et donc leur densité. Ce phénomène réduit la quantité d’eau qui plonge ce qui conduit à un ralentissement de l’AMOC qui pourrait avoir déjà atteint 15 % en 50 ans, selon une étude de Levke Caesar (Potsdam Institute for Climate Impact Research) et ses collaborateurs parue en 2018 dans Nature.

A gauche : la température océanique de surface modélisé pour un doublement du CO2 atmosphérique. A droite : l’évolution de la température observée entre 1870 et 2016. Source : Levke et al. 2018/Nature.

Ce bouleversement de la circulation thermohaline pourrait être à l’origine d’un changement profond de la circulation globale océanique et tout particulièrement celle de l’Atlantique et du Pacifique. L’atmosphère et l’océan étant intimement liés dans leurs processus et leur évolution, le ralentissement de l’AMOC devrait avoir de profondes répercutions sur le climat mondial. Parmi ces effets climatiques figurent des moussons perturbées en Afrique et en Asie, mais aussi des hivers plus froids en Europe.

Vers un effondrement total ?

Le ralentissement de l’AMOC pourrait se poursuivre au fil des prochaines décennies jusqu’à son arrêt total entraînant des profonds bouleversements dans la circulation océanique mondiale et le climat global. Ce changement s’accompagnerait notamment d’un déplacement vers le nord le long de la côte nord-américaine du courant chaud du Gulf Stream. Certaines études récentes envisageaient même l’arrêt complet de l’AMOC. Cependant, des travaux publiés il y a quelques mois viennent compléter les précédents. Ils apportent notamment une meilleure compréhension sur la cinétique du ralentissement de la circulation thermohaline de l’Atlantique.

En février 2025, Jonathan Baker (Service météorologique du Royaume-Uni) et ses collaborateurs ont utilisé 34 modèles climatiques différents afin d’envisager les évolutions futures de la cinétique de l’AMOC. Ainsi, selon les modèles utilisés, le ralentissement de l’AMOC pourrait atteindre jusqu’à 80 % dans les prochaines décennies avant de se stabiliser d’ici le début du 22ème siècle.

Modification de la circulation océanique selon la cinétique de l’AMOC. Jonathan et al., 2025/Nature.

Débat scientifique

La faible probabilité de l’effondrement total de l’AMOC était déjà mentionné en 2023 par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) avec une confiance modérée. Or, cette position du GIEC a été contestée par 43 scientifiques dans une lettre ouverte publié en 2024 faisant état du risque fort d’effondrement de l’AMOC.

Que retenir de ces travaux et de ces prises de positions d’experts scientifiques ? Tout simplement qu’il s’agit du processus normal et sain dans le cheminement, certes long, vers le consensus scientifique. Toutefois, nous n’en sommes qu’au début des recherches et des débats scientifiques sur le sujet. Ces dernières années, la compréhension des phénomènes océaniques liés au changement climatique a fortement progressé grâce aux efforts de la communauté scientifique internationale. Ces avancées mettent également en lumière l’importance de notre ignorance dans ce domaine alors qu’il est plus qu’urgent de réagir de façon efficace face au réchauffement global.

L’une des rares certitudes qui nous est permise concernant la circulation océanique et son impact sur le climat global est que nous allons vers l’inconnu. Or il s’agit d’un inconnu extrême avec pour aboutissement l’effondrement de la biodiversité et des conditions de viabilité de la planète pour notre espèce. Autre fait acquis, certaines modifications apportées au fonctionnement de l’océan liées à nos émissions de gaz à effet de serre ne disparaîtront pas avant plusieurs milliers d’années.

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