STARESO

Nichée au pied de la Pointe de la Revellata dans la baie de Calvi en Corse, la station de recherches océanographiques et sous-marines (STARESO) est un lieu important de la recherche océanographique de l’île de beauté. Depuis plus de 50 ans les scientifiques de la station étudient les écosystèmes marins de la baie et plus largement du littoral corse. Les actions de la STARESO ne se limitent pas à l’ile. Des chercheurs venus des quatre coins du monde y réalisent des travaux scientifiques afin de mieux comprendre l’influence du changement climatique global sur les écosystèmes de Méditerranée. Je vous invite à une visite terrestre et sous-marine de ce haut lieu de la recherche scientifique en Corse qui n’a pas fini de faire parler de lui.

La STARESO brille de mille feux par une chaude nuit d’été, telle une station spatiale . Cette station isolée cache bien son jeu et notamment l’importance des recherches en océanologie qui y sont menées.

Tout commence avec une histoire belge

Avec ses allures de base de génie du mal d’un James Bond des années 70, il est difficile de s’imaginer que la station de recherches océanographiques et sous-marines (STARESO) dans la baie de Calvi (Haute-Corse) est un lieu de recherche scientifique. Comment une station à l’architecture si particulière a pu se retrouver dans un endroit si isolé ? Tout a commencé à plus de 1000 km de la Corse, dans le laboratoire d’océanologie de l’Université de Liège situé dans l’Est de la Belgique. S’il peut être surprenant qu’une ville si éloignée de la mer soit un haut lieu de recherche de l’océanographie, cela l’est moins lorsque l’on connaît l’histoire de la recherche scientifique à Liège. L’Université de Liège (Ulg) a été fondée en 1817 par Guillaume 1er d’Orange qui impose à l’institution naissante de se doter d’un cabinet de zoologie et d’anatomie comparée. Au cours du XIXème siècle les collections sont enrichies grâce à de nombreuses expéditions dans le monde entier et un institut zoologique voit le jour en 1888 à l’initiative de Édouard Van Beneden. En 1947 l’institut zoologique est rénové sous la direction de Marcel Dubuisson qui installe notamment des aquariums employés pour étudier les organismes marins rapportés des campagnes océanographiques. En 1962 le muséum et l’aquarium ouvrent leurs portes au public fournissant ainsi depuis plus de 60 ans un support à la diffusion de la connaissance au plus grand nombre et aux étudiants de l’ULg.

Le muséum/aquarium de Liège. Ce haut lieu de la recherche zoologique et océanographique de Belgique réalise des recherches dans le monde entier.

Mais quel rapport entre la recherche océanographique belge et la STARESO ? Et bien la STARESO a été construite par l’ULg, tout simplement. Les travaux de construction de la station ont débuté en 1968 avec une inauguration en 1972. Son design original et ses matériaux s’intégrant parfaitement au paysage sont l’oeuvre des architectes Claude Strebelle et Charles Dumont. Ses infrastructures permettent d’accueillir des chercheurs et de leur fournir un cadre optimal pour mener des travaux scientifiques in situ (dans le milieu marin). Les scientifiques disposent notamment d’un accès directe à la mer grâce au petit port de la station, ainsi que de laboratoires secs et humides (en fonction du type d’échantillon à analyser). La STARESO est capable d’accueillir plusieurs dizaines de personnes grâce à ses dortoirs. De plus le phare de la Revellata dispose de plusieurs chambres au sommet de la falaise.

Avec son revêtement en granit la STARESO se fond parfaitement dans le paysage sauvage de la pointe de la Revellata. Grâce à ce camouflage, bien que la station soit située en face de la citadelle de Calvi, il est impossible de la distinguer depuis la ville.

En 1988 l’Université de Lège a noué un partenariat privé-public avec une société française, la STARESO S.A., afin que cette dernière assure la gestion de la station. La station appartient donc toujours à l’ULg mais dispose d’un personnel permanent chargé l’entretien de la station mais également de la réalisation d’études scientifiques dans la baie de Calvi et partout en Corse.

Le phare de la Revellata est entièrement automatisé et accueil une partie des logements de la STARESO. Un sentier géré par le Conservatoire du littoral permet d’y accéder et de profiter de la vue incroyable sur le large.

Des études à Calvi et dans toute l’île

La baie de Calvi est donc un site d’étude à haute fréquence de l’environnement marin depuis plus de 50 ans. Les chercheurs belges réalisent des travaux dans de nombreuses disciplines scientifiques de l’océanologie tels que la biologie, l’écologie, la physique, chimie et la modélisation mathématique. De même, tous les habitats, les écosystèmes et de nombreux organismes sont étudiés comme les herbiers sous-marins, le plancton, le substrat meuble, diverses espèces de poissons. Certaines observations sont réalisées très fréquemment depuis plusieurs dizaines d’années comme la température de l’eau de surface qui est mesurée depuis 1981, l’étude de la densité des herbiers de posidonies et ou encore la diversité du plancton avec des prélèvements hebdomadaires depuis 2004.

Ces lignes allant de la surface jusqu’à 10 m de profondeur sont pourvues de capteurs mesurant la concentration en oxygène dissout à proximité des herbiers de posidonies. Ces observations permanentes et à haute fréquence permettent notamment de quantifier la production primaire des prairies sous-marines.
Une plongeuse biologiste de la STARESO réalise des observations le long d’un transect sur les organismes peuplant la roche.

En plus des chercheurs belges, de nombreux organismes scientifiques français viennent réaliser des travaux à la STARESO, comme l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) et divers laboratoires du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). La station travail également avec des bureaux d’études à des programmes d’innovation pour développer et tester de nouvelles techniques d’observation en milieu marin.

Un hydrophone du CNRS au large de la STARESO à 40 m de profondeur. L’enregistrement des sons sous-marins permet d’évaluer la biodiversité des organismes marins ainsi que la pollution acoustique des activités humaines.

Depuis la création de la STARESO S.A. il y a plus de 30 ans la station est devenue un interlocuteur privilégié en ce qui concerne les thématiques de l’environnement marin en Corse. C’est le cas notamment du suivi de la pêcherie artisanale sur l’ensemble de l’île. La STARESO intervient également souvent lors d’études d’impacts et d’études environnementales, comme par exemple pour des suivis de la plaisance et de son impact sur les fonds marins, l’étude de l’impact des sites d’aquaculture, le suivi des herbiers de posidonies (présents dans la quasi totalité des eaux littorales de l’île) et l’étude de la qualité du sédiment marin (via l’étude des communautés d’organismes vivant dans le substrat meuble). La station est également un lieu très prisé pour l’organisation de colloques et de séminaires dont notamment celui de la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL Corse) en 2012 et 2016.

Le André Malraux, le navire du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM), à proximité de la STARESO durant le séminaire de la DREAL sur le milieu marin en 2012.

Un rayonnement international

Si la STARESO jouit d’une grande renommée dans les organismes scientifiques en Belgique, en Corse, et plus largement de l’Hexagone, sa réputation atteint des rivages bien plus éloignés. C’est notamment le cas en ce qui concerne sa vocation d’accueil des chercheurs du monde entier pour mener des expériences scientifiques ambitieuses en milieu naturel. Certains projets concernent un ou plusieurs laboratoires de la même nationalité tandis que d’autres regroupes des organismes scientifiques de plusieurs pays. La station accueil également des stages étudiants d’universités européennes (Belgique, Allemagne, Autriche) ou américaines (USA). Sa capacité d’accueil lui permet également de recevoir des colloques et des workshops scientifiques, l’isolement du lieu et le confort de ses installations permettant de se consacrer entièrement au travail de groupe. Enfin, la STARESO produit ou co-écrit régulièrement des articles scientifiques dans des revues de rang international dans divers disciplines des sciences marine (écologie, biologie, chimie).

Les mésocomes sous-marins du programme de recherche international MedSea installés à proximité de la station. Ces travaux scientifiques visent à étudier l’acidification des océans en faisant varier les paramètres de la colonne d’eau dans ces systèmes isolés. Les structures immergées font 20 m de haut.

STARECAPMED : un programme scientifique ambitieux

Depuis 2012 la STARESO a initié un programme de recherche scientifique multidisciplinaire sur l’ensemble de l’environnement marin de la baie de Calvi, c’est le programme STARECAPMED (STAtion of Reference and rEsearch on Change of local and global Anthropogenic Pressures on Mediterranean Ecosystems Drifts). Derrière ce nom long et complexe en anglais se cache un projet visant à étudier l’influence du changement climatique global sur les écosystèmes de Méditerranée. En s’appuyant sur plusieurs décennies de données recueillies par la station, ainsi qu’en réalisant de nouvelles acquisitions, le but de STARECAPMED est de détecter les changements aux sein des écosystèmes marins en lien avec les paramètres environnementaux (comme par exemple la température de l’eau, les ressources en nutriments disponibles, la courantologie, la quantité de lumière disponible). En plus des influences globales, des études sont réalisées sur l’impact des activités humaines sur l’environnement de la baie comme par exemple l’influence de l’ancrage des navires de plaisance sur les herbiers de posidonies ou celle des rejets de la station d’épuration de la ville.

Schéma conceptuel des écosystèmes marins de la baie de Calvi et de l’influence des activités humaines ainsi que celle des paramètres environnementaux (oxygène, gaz carbonique, vent, température, nutriments). Source : STARESO.

Le programme STARECAPMED est porté politiquement et financièrement par la Collectivité de Corse et l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse depuis ses débuts, du fait de l’importance de l’impact des recherches sur le plan de la gestion de l’environnement marin littoral. Au niveau scientifique, l’effort de recherche est porté en premier lieu par le personnel de la STARESO qui quotidiennement travail à la récolte et à l’analyse des données. Des chercheurs du laboratoire d’océanologie et du laboratoire d’océanographie chimique de l’Université de Liège participent également très régulièrement à ces travaux de recherche depuis le début du programme. Enfin, STARECAPMED offre un cadre pour le développement de nouvelles méthodes d’observation en milieu marin qui donne lieu à des partenariats avec des organismes privés publiques de France et du monde entier.

Le mot de la fin

Face à l’urgence climatique et les changements rapides du milieu marin qui y sont liés, ainsi que la dégradation du milieu marin par nos activités et la pollution que nous produisons, des lieux de recherches et d’échanges scientifiques comme la STARESO sont primordiaux afin de favoriser une utilisation plus raisonnée des espaces marins. Ce type d’organisme, ayant une très forte implantation locale ainsi qu’un rayonnement international, est quasiment unique au monde. Ce modèle de fonctionnement est actuellement à l’étude dans d’autres pays (Maroc, pays Basque espagnole), signe de sa pertinence. Désormais, si vous passez à proximité de cette petite station en baie de Calvi, j’espère que vous ne la verrez plus de la même façon maintenant que vous avez connaissance de l’étendue de ses missions.

Pour en savoir (beaucoup) plus

Le site internet de la STARESO : www.stareso.ulg.ac.be

Gobert S, Lejeune P, Marengo M, Donnay A, Leduc M (2018) STARECAPMED. Rapport d’activité 2017. 60 p. (pdf)

L’auteur

Arnaud Abadie est un écologue marin et un photographe subaquatique. Biologiste marin en Méditerranée pendant dix ans, il est désormais chargé d’études milieu marin à l’Agence de l’Eau Artois-Picardie. Arnaud est le fondateur de Sea(e)scape et l’un de ses contributeurs régulier.

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