Plongée dans la mangrove de Guadeloupe
Bienvenue dans la mangrove de Guadeloupe pour une excursion sous-marine enchanteresse au milieu des racines de palétuviers ! La richesse de la biodiversité y est frappante et l’on comprend ainsi rapidement l’importance écologique primordiale de cet habitat. Malheureusement cet environnement idyllique est menacé par nos activités dont les impacts sont clairement visibles.
Texte et photos : Lucas BERENGER et Arnaud ABADIE
L’air matinal est calme (mais déjà chaud) dans le petit port de Sainte Rose. Le jour s’est levé depuis plusieurs heures tandis que les touristes les plus matinaux errent au milieu des petites cahutes colorées des loueurs de bateaux et prestataires d’excursions à la journée. Ce que nous recherchons ce n’est pas un bateau à moteur pour aller boire l’apéritif sur une plage de sable blanc (quoi que nous aimons bien aussi, parfois)). L’objet de notre convoitise a l’avantage d’être gratuit et accessible à tous : la mangrove. La simple location d’un kayak biplace nous sépare du Graal. Notre objectif : explorer la partie immergée de la mangrove pour observer l’incroyable diversité d’organismes vivants qu’elle abrite.
Ici nous sommes cernés par la mangrove. De la mangrove à l’est et à l’ouest sur la côte. De la mangrove au large sur les premiers petits îlets du Grand Cul-de-sac marin. Nous sommes au nord de Basse-Terre, en Guadeloupe, et nous n’avons sous les yeux qu’une infime partie des 2 950 ha que couvrent ces forêts sur l’ensemble des îles de Gwada. Oui, vous avez bien entendu, les pieds dans la mer ! La mangrove de bord de mer (car il en existe différentes sortes) est constituée principalement de palétuviers rouge (Rhizophora mangle) dont l’entrelacs de racines, tel des échasses, lui permet de se dresser sur des sols très meubles et de résister aux courants de marée ainsi qu’à la houle. Mais comment les palétuviers résistent-ils à la salinité de l’eau de mer qui tuerait facilement la plupart des plantes terrestres ? Encore une fois ce sont leurs racines qui jouent le rôle le plus important en filtrant l’eau. La petite quantité de sel restante est transférée vers les vielles feuilles qui en mourant, et en tombant, évacuent ainsi l’excédent de salinité de l’arbre.
Nous voici donc partis à la rame et en cadence vers ce labyrinthe végétal armés de notre matériel d’apnée et de nos appareils photos. Un simple masque, un tuba et des palmes sont suffisants. La profondeur autour des palétuviers n’excède pas 2 m. Mais un autre point nous inquiète. Qu’en est-il de la visibilité ? Le sédiments sur lequel se développent les mangroves étant très meuble, le moindre mouvement d’eau (courant, vagues) le remet en suspension et peut fortement réduire la visibilité. Après une paire d’heure de repérage autour des îlets de mangrove, il est temps de se mettre à l’eau pour tenter d’avoir un aperçu de leur biodiversité sous-marine. Le regard à peine immergé, deux choses frappent l’observateur. La première est la diversité des espèces fixées sur les racines et leurs couleurs. La seconde est la proximité immédiate des herbiers sous-marins qui jouxtent les racines des palétuviers comme une prairie côtoie la forêt.
Commençons par nous intéresser à la biodiversité. Les racines de palétuviers structurent un habitat pour de nombreuses espèces marines et terrestres. L’ensemble des interactions entre cet habitat et les autres organismes vivants forme un écosystème très riche et complexe : celui de la mangrove. Les maîtres incontestés de la mangrove sont les crabes avec notamment le crabe des palétuviers (Aratus pisoni) qui vit sur les racines et broute les feuilles ainsi que les autres organismes fixés dessus. Les oiseaux ne sont pas en reste avec l’aigrette neigeuse (Egretta thula) qui fait son nid dans les palétuviers et la paruline jaune (Dendroica petechia) très courante dans les mangroves antillaises.
Mais replongeons donc la tête sous l’eau pour nous intéresser à la faune et à la flore marine. Les racines des palétuviers sont colonisées par un étagement bien ordonné de différents types d’organismes. Les éponges orangées s’installent sur la partie des racines la plus proche du fond et des sabelles s’y ajoutent. Sur l’étage au-dessus se développent des ascidies puis encore plus haut des algues. L’étage le plus proche de la surface, émergé lors des marées, est colonisé par l’huître de mangrove (Crassostrea rhizophorae).
Les racines de la mangrove forment également un abri parfait pour les espèces de poisson de petite taille ou les juvéniles. Ainsi, les grands prédateurs de demain nagent au milieu de leurs futures proies dans cette véritable nurserie sous-marine. C’est le cas par exemple du grand barracuda (Sphyraena barracuda) et du requin citron (Negaprion brevirostris).
Comme nous vous le disions plus haut, des herbiers sous-marins se développent à proximité immédiate des racines des palétuviers. Ces herbiers sont plurispécifiques, c’est à dire qu’ils sont constitués de plusieurs espèces de plantes sous-marines. Ici en occurrence par la thalassia (Thalassia testudinum) et l’halophila (Halophila stipulacea). De nombreuses interactions existent entre herbiers et mangroves, tous deux très riches en biodiversité. Un troisième larron écosystémique vient s’additionner à ce tandem : les récifs coralliens délimitant le lagon. Le tout donne une sorte de super écosystème tricéphale porteur de nombreuses fonctions écologiques et rendant un grand nombre de services écosystémiques (nurserie, stabilisation du sédiment, protection du littoral contre l’érosion et les raz de marée, stockage du carbone, etc.).
Nous continuons notre balade aquatique entre les racines immergées de la mangrove de Sainte Rose, chaque entrelacs de racines est l’occasion d’une nouvelle rencontre avec de nouvelles espèces. C’est malheureusement aussi l’occasion de croiser de nombreuses traces d’activités humaines. Des nasses de pêche sont abandonnées et continuent de capturer des poissons. De nombreux déchets plastique et de verre jonchent les fonds marins. Cela est très décevant et malheureusement peu surprenant. Les moyens financiers et humains manques pour gérer, réguler et surveiller les activités de pêches et de tourisme dans cette zone sensible qui n’est pas incluse dans le cœur marin du Parc National de Guadeloupe (PNG). Petite lueur d’espoir à l’horizon : la zone où se situent ces mangroves fait partie de l’aire maritime adjacente du PNG, ce dernier pouvant en orienter la protection, la mise en valeur et le développement durable.
Nous ressortons de l’eau détendus (ramer et palmer ça détend!) et émerveillés par les richesses naturelles de la mangrove guadeloupéenne. S’immerger dans un site naturel est une véritable plongée au sens propre comme au sens figuré. Cette introspection nous permet d’être moins craintif et ignorant de notre environnement et nous motive à le préserver. La nature est à la portée de tous que ce soit sur terre ou sous l’eau (ou à la frontière de ces deux mondes). Alors visitez, explorez, découvrez, parcourez à volonté les espaces naturels ! Et évitez les sites trop fréquentés, sortez des sentiers battus !
Les auteurs
Lucas BERENGER est biologiste marin et plongeur scientifique. Passionné de biodiversité marine, il réalise notamment des missions d’inventaire des poissons marins, en Méditerranée, en Atlantique et en mer des Caraïbes dont les résultats sont publiés régulièrement dans les Cahiers de la Fondation Biotope pour la biodiversité. Lucas réalise de nombreuses études environnementales en tant que Chef de Projet Ecologue pour le bureau d’études Biotope.
Arnaud Abadie est un écologue marin et un photographe subaquatique. Biologiste marin en Méditerranée pendant dix ans, il est désormais chargé d’études milieu marin à l’Agence de l’Eau Artois-Picardie. Arnaud est le fondateur de Sea(e)scape et l’un de ses contributeurs régulier.
Merci beaucoup pour cet article très intéressant sur cette partie de notre archipel. C’est clair que toute cette richesse insoupçonnée (et malheureusement pas respectée de tous) est frappante. Je vais le relire encore à tête reposée et le partager auprès de ma communauté !