Et si observer les étoiles pouvait se faire depuis les profondeurs de la Méditerranée ?

Antares c’est le nom de l’étoile la plus brillante de la constellation du scorpion mais aussi celui du télescope sous-marin immergé à La Seyne-sur-mer en Méditerranée (Astronomy with a Neutrino Telescope and Abyss environmental RESearch) à plus de 2400 mètres de profondeur. Le projet met en collaboration huit pays : France, Maroc, Espagne, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Australie et Roumanie dont près de 200 chercheurs, techniciens, physiciens et ingénieurs. Il a été pensé par Jean-Jacques Aubert au Centre de Physique des Particules de Marseille (CPPM). La structure est composée de douze lignes verticales de 400 mètres de long possédant chacune 75 capteurs capables de détecter la moindre trace lumineuse de neutrino muonique (νμ).

Les neutrinos, ces drôles de particules élémentaires

Le télescope Antares est en effet, ce qu’on appelle un télescope à neutrinos. C’est Wolfgang Pauli, un physicien autrichien et l’un des créateurs de la théorie quantique des champs, qui invente le neutrino en 1930 – alors appelé le « neutron de Pauli » et seulement plus tard rebaptisé neutrino par le physicien italien Enrico Fermi – lorsque les seules particules élémentaires connues étaient alors les protons, les électrons et les photons. La matière est constituée de particules élémentaires : les Quarks (protons, neutrons) et les Leptons (électrons, muons, tauons). Les neutrinos sont des Leptons, possédant une masse faible et une charge nulle, générés par des réactions nucléaires qui voyagent en ligne droite et sur de grandes distances grâce à leur faible interaction avec la matière. Ils existent depuis ce qu’on pourrait appeler : le commencement de l’Univers tel que nous le connaissons. Il en existe trois sortes aussi appelées saveurs1 : Le neutrino électronique (ve), le neutrino muonique (vµ) et le neutrino tauique (vƬ). 

En se déplaçant, il semble que les neutrinos soient capables de passer d’une saveur à une autre ; c’est ce qu’on appelle l’oscillation des neutrinos. Le neutrino produit pendant une réaction nucléaire – comme lors de la réaction de fusion du soleil – naît d’un certain type puis devient une sorte de masse associative des trois sortes lors de son voyage. A la fin de son déplacement il est alors capable de changer de saveur. Le neutrino étant la seule particule élémentaire à posséder cette capacité.

Photographie de la première observation d’un neutrino percutant un proton et donnant naissance à un muon (méson-mu). Illustration : Argonne National Laboratory.

Les neutrinos sont produits par des particules élémentaires chargées et proviennent d’une anomalie qui a pu être détectée par le rayonnement bêta. Le neutrino produit par réaction nucléaire peut provenir de deux processus : la fission nucléaire et la fusion nucléaire. La fission nucléaire est le processus selon lequel un noyau dit instable éclate en deux noyaux distincts et en particules élémentaires, libérant ainsi un ou plusieurs neutrinos.

Production d’un neutrino par fission nucléaire, éclatement d’un noyau atomique. Illustration :  Célia KOELLSCH.

Le second processus est la fusion nucléaire, réaction naturellement présente dans la majorité des étoiles notamment dans notre Soleil (65 milliards de neutrinos par cm² et par seconde) sous forme de chaîne proton-proton2 ou chaîne PP. La fusion nucléaire permet – à l’inverse de la fission nucléaire – d’assembler deux noyaux, ici d’hydrogène, pour former un noyaux d’hydrogène plus lourd (deutérium) ainsi que des particules élémentaires (positron3 et neutrino). Le nombre de neutrinos produits est alors déduit de la luminosité totale et de l’énergie produite lors de la transformation.

Production d’un neutrino par fusion de deux protons. Illustration : Auteur inconnu- domaine public Wikipédia.

Dans l’atmosphère, les neutrinos sont produits par la décomposition de particules instables retrouvées dans les rayons cosmiques au contact de l’atmosphère. Ce que nous verrons par la suite, donnent des muons descendants.

Principe de détection des neutrinos par ANTARES

Les neutrinos possédants une masse faible, leur interaction avec la matière est donc moindre et rend leur détection encore plus difficile. Seule l’astronomie neutrino se révèle être capable de détecter ces particules élémentaires. Le télescope sous-marin ANTARES est équipé d’une structure particulière composée de nombreux photodétecteurs et scintillateurs4, assemblés par groupes de trois sur douze câbles verticaux de près de 450 mètres de haut et rattachés au fond marin. Au total on décompte 75 photomultiplicateurs par câble qui seront capables de détecter la lumière de Tcherenkov.

La lumière de Tcherenkov ou Cerenkov est un rayonnement lumineux produit par des muons (particules semblables aux électrons) eux même produits par l’interaction de neutrinos de haute énergie. Ce rayonnement de couleur bleue apparaît suite à la production d’une onde de choc générée par toute particule chargée électriquement dans un milieu et qui se déplace à une vitesse supérieure à celle de la lumière dans ce même milieu, ici l’eau. Dans l’eau la lumière se déplace à près de 225 000 km/s contre certaines particules qui, elles, peuvent avoir une vitesse avoisinant les 300 000 km/s. Lorsqu’un neutrino percute un atome de matière il se transforme donc en muon.

Les 900 photodétecteurs sont donc capables d’amplifier le sillon de lumière de Tcherenkov émis par un seul photon et, grâce à leur taille, de détecter et différencier les muons montants ou descendants dans leur direction ; La détection du rayonnement permettant de remonter jusqu’au neutrino de haute énergie à l’origine de ce phénomène et de déterminer sa source de production.

Les muons descendants sont produits dans l’atmosphère par l’interaction du rayon cosmique avec l’atmosphère et sont très nombreux ; de l’ordre d’un muon descendant par seconde. Tandis que les muons montants proviennent de l’interaction entre les neutrinos et la croûte terrestre et restent plus rares à repérer ; quelques-uns par jour. Le télescope sous-marin ANTARES est chargé d’observer et de tracer les muons montants afin de déterminer la direction du neutrino et d’en découvrir l’origine de production à travers la voie lactée. Le but final de ce traçage étant de pouvoir découvrir les origines du rayonnement cosmique et d’obtenir une description plus précise de l’Univers telle que l’origine du Big-Bang. De même, ANTARES permet la recherche de la masse manquante de l’Univers nommée matière noire, celle-ci étant supposément composée de particules neutres semblables aux neutrinos mais de masse plus importante, les WIMPS (Weakly Interacting Massive Particles, « particules massives interagissant faiblement ») représentant près de 90% de la masse de l’Univers. La matière noire pouvant également être à l’origine de la production de neutrinos par l’énergie libérée lors de la chute de ces particules causée par le champs gravitationnel des astres.

Principe de détection des photodétecteurs avec représentation en bleu de la lumière de Tcherenkov Illustration : François Montanet.

ANTARES pourrait également venir à bout de la question de la masse des neutrinos, toujours inconnue à ce jour. Bien que faible, elle n’est pas inexistante. ANTARES a donc pour cible les noyaux actifs de la galaxie et les objets célestes dégageant des hautes quantités d’énergie.

Une structure complexe pour détecter et cartographier

Les photomultiplicateurs d’ANTARES sont installés à 2500 mètre de profondeur, dans les abysses Méditerranéennes afin d’être protégés des rayonnements cosmiques incidents, les profondeurs abyssales fournissant à la structure une obscurité totale, nécessaire à la détection des rayonnements de Tcherenkov.

L’infrastructure occupe une surface de 40 000 m² au sol permettant aux douze lignes de couvrir une large zone. Ces lignes sont toutes reliées entre elles par des câbles de raccordement à un boitier de jonction lui-même rattaché à un câble électro-optique sous-marin de 45 km permettant la liaison avec la station à terre : l’institut Michel Pacha, qui réceptionnera et analysera les informations.

ANTARES peut également permettre de cartographier les neutrinos – ou plutôt des antineutrinos – émis par la radioactivité terrestre. Les neutrinos sont produits par les réactions nucléaires comme la fission ou la fusion. Tandis que les antineutrinos sont produits par la radioactivité terrestre naturelle, émise par la croûte terrestre et le manteau, et dans les centrales nucléaires.

Les antineutrinos ou géoneutrinos permettraient de renseigner les physiciens sur la structure interne de la Terre. Majoritairement produits par des éléments comme le potassium, le thorium ou l’uranium 238 et l’uranium 235, les chercheurs s’en servent pour déterminer la concentration et la répartition de ces éléments dans le manteau et la croûte terrestre.

Un étage de la ligne secteur avec ses trois modules optiques et son module local. Photo : Camille Moirenc/CNRS.

Un télescope capable d’aller encore plus loin

Les profondeurs dans lesquelles se trouve ANTARES abritent de nombreux organismes abyssaux, qui pour la plupart sont capable de produire de la lumière (bioluminescence). 90% des animaux marins et microorganismes abyssaux sont capables de produire une bioluminescence, la plupart du temps grâce à une symbiose avec des bactéries possédant cette capacité naturellement. Cette particularité leur permettant par exemple d’attirer leurs proies ou de se reproduire comme chez les baudroies. Entre 2009 et 2010 le télescope sous-marin, normalement missionné pour détecter les neutrinos et les muons, met en avant une brusque augmentation de la bioluminescence de ces organismes, révélant une activité biologique très intense.

Le bruit de fond habituellement mesuré entre 40 et 100 kHz par le télescope a relevé des mesures supérieures à 9000 kHz, les photons produits par la bioluminescence des individus environnants éblouissant littéralement les photomultiplicateurs d’ANTARES.

La bioluminescence produit le plus souvent une lumière bleue, se rapprochant de celle produite par la lumière de Tcherenkov, induisant en erreur le télescope à neutrinos. Cette augmentation soudaine de la bioluminescence au large de Toulon a pu être mise en relation avec une augmentation de la température et de la salinité de l’eau dans le Golfe du lion dû aux mouvements de convection d’eau profonde. La période hivernale induisant une chute de la température des eaux tandis que la salinité augmente, alourdissant les masses d’eau qui vont ensuite descendre vers les abysses. La convection d’eau profonde entraîne donc un mélange des masses d’eau en profondeur et amène avec elle d’avantage d’oxygène, de carbone et de nutriments, permettant d’augmenter l’activité biologique des êtres vivants qui y vivent et favorisant d’autant plus la bioluminescence. C’est ce phénomène qui a entraîné un pic d’activité lumineuse dans les abysses entre 2009 et 2010.

Les chercheurs ont admis que cette mesure de la bioluminescence par ANTARES dans ces conditions pourrait devenir une mesure continue, permettant de relever l’activité biologique des espèces abyssales notamment lors de prochains mouvements de convection. Le réchauffement climatique menaçant de déséquilibrer ces écosystèmes, il est d’autant plus intéressant et primordial de poursuivre ces mesures et d’analyser l’impact sur la faune abyssale. En effet avec le temps les mouvements de convection devraient diminuer en réponse à ce phénomène et par conséquent amener à une baisse importante des apports en oxygène, carbone et nutriments qui favorisent ces pics d’activité. ANTARES sera donc chargé d’évaluer cette activité afin de pouvoir déterminer les organismes responsables de cette bioluminescence soudaine permettant par la suite de mesurer ce phénomène en continu et de mettre à jour les instruments capables d’analyser ces données.

Olindias formosa, une méduse bioluminescente à l’aquarium de la baie de Monterey. Photo : CC Chris Favero.

Mais ce n’est pas le seul

ANTARES n’est cependant pas la seule structure de ce type à avoir vu le jour sur cette planète. En effet il existe d’autres télescopes à neutrino similaires comme celui en Antarctique ; AMANDA (Antarctic Muon And Neutrino Detector Array) construit dans les profondeurs de la calotte glaciaire de la base d’Amundsen-Scott au pôle sud à une profondeur allant de 1200 à 2300 mètres. La calotte glaciaire permet d’atteindre des profondeurs d’environ 2900 mètres ainsi qu’une eau extrêmement claire grâce à la transparence de la glace. Les objectifs sont les mêmes que pour ANTARES, AMANDA est chargé de détecter les neutrinos et les muons à proximité de ses 677 modules optiques. Les photodétecteurs sont répartis dans 19 trous de glace réalisés grâce au forage à l’eau chaude.

ANTARES a vu le jour en 2002 et AMANDA en 2000. Après AMANDA, c’est IceCube qui a vu le jour dans le pôle sud, englobant AMANDA et devenant opérationnel en 2010. « Grâce à AMANDA, on a enregistré un murmure ; avec IceCube, on écoutera le son d’une contrebasse. » Confie Francis Halzen, initiateur des projets AMANDA et IceCube. En effet Le second projet du pôle sud a été conçu pour dépasser de près de 100 fois la taille de la précédente structure.

Le projet IceCube incluant le programme AMANDA. Illustration : CC Francis Halzen, Department of Physics, University of Wisconsin.

Le mot de la fin

Le télescope ANTARES est donc la première structure de ce type à voir le jour, notamment en France. Capable dans un avenir proche (ou pas) de répondre à certaines questions sans réponses à ce jour sur l’Univers qui nous entoure. Les neutrinos sont encore un mystère pour la science et il va falloir creuser plus loin encore pour révéler tous leurs secrets. De plus, nous savons maintenant qu’une étude plus approfondie de la bioluminescence dans le Golfe du lion et l’impact du réchauffement climatique va pouvoir être menée grâce à la capacité d’ANTARES à percevoir les pics de cette activité biologique. Une chose est sûre, grâce à ce type de structure que sont ANTARES, AMANDA ou encore IceCube, nous allons pouvoir creuser plus loin dans les mystères de l’Univers.

Glossaire

1Saveur : Caractéristique qui permet de différencier les différentes sortes de Quarks et de Leptons en physique des particules . Les Quarks se différencient en six saveurs (haut, bas, étrange, charme, beauté et vérité) et les Leptons en trois (électron, muon et tauon).

²Chaîne proton-proton : Une des réactions de la fusion nucléaire à l’origine de l’énergie des étoiles qui combine à l’origine deux protons afin de former un noyau de deutérium et de libérer un positron et un neutrino.

3Positron : électron à charge positive.

4Scintillateurs : ou détecteurs à scintillation sont des objets constitués de matériaux qui émettent de la lumière lors du passage d’une particule.

Pour en savoir (beaucoup) plus

J. A. Aguilar et al. (2006) – First results of the Instrumentation Line for the deep-sea ANTARES neutrino telescope

S. Adrián-Martínez et al. (2012) – Search for Cosmic Neutrino Point Sources with Four Year Data of the ANTARES Telescope

J. Barrios-Martí (2014) – Searches for Point-like and extended neutrino sources close to the Galactic Centre using the ANTARES neutrino Telescope

Sergio Navas (2019) – Searches for point-like sources of cosmic neutrinos with 11 years of ANTARES data

A. Albert, M. André, M. Anghinolfi (2018) – The Search for Neutrinos from TXS 0506+056 with the ANTARES Telescope

L’auteure

Étudiante en biologie et passionnée par la nature depuis toujours. Curieuse de tout, je parcours les différents paysages avec mon appareil photo sous le bras, je voyage à la découverte de nouveaux mondes et me plonge dans les livres. Mon objectif : devenir biologiste marin.

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