Les mortalités massives de grandes nacres

La grande nacre Pinna nobilis, cette espèce patrimoniale de coquillage géant de Méditerranée, est aujourd’hui grandement menacée. Un parasite décime ses populations sur une grande partie des côtes nord méditerranéennes et notamment celles de la France. Malheureusement, comme souvent dans ce type de crise biologique, l’Homme n’est pas étranger aux menaces d’extinction qui pèsent sur ce grand bivalve et les effets indirects du réchauffement se font sentir.

Une grande nacre (Pinna nobilis) dans un herbier de posidonies dans la baie de Calvi en Corse.

Portrait de nacre

La grande nacre, ou Pinna nobilis de son nom scientifique, est une espèce de mollusque bivalve endémique de Méditerranée. Son nom provient de la nacre tapissant l’intérieur de sa coquille. Sa taille peut dépasser un mètre de longueur et elle peut vivre jusqu’à 45 ans. La grande nacre passe son existence principalement sur des substrats meubles et dans les herbiers de posidonies avec la moitié de sa coquille enfuie dans le sédiment. C’est un organisme filtreur qui se nourrit de plancton et de la matière organique provenant de la colonne d’eau.

Détail des organes internes d’une grande nacre.

Cette espèce fragile a longtemps été exploitée pour sa nacre et son byssus*. A cette récolte effrénée s’ajoute la régression des prairies de posidonies, leur habitat de prédilection, et l’impact des ancres de navires sur leur coquille qui entraînent une forte régression de leur population depuis plusieurs dizaines d’années. C’est pourquoi il est interdit en France, depuis 1992, de prélever des grandes nacres mortes ou vivantes de même qu’il est interdit d’en faire le commerce ou le transport. Je vous invite donc si vous êtes plongeur à résister à la tentation de ramasser les coquilles mortes que vous pouvez rencontrer lors de vos incursions sous-marines. D’autant plus qu’elles fournissent un habitat et une protection pour de nombreuses espèces marines de petite taille peuplant le fond.

La coquille de la grande nacre est un support pour de nombreux organismes épibiontes comme ici des éponges et un ver polychète spirographe (Sabella spallanzanii).

Histoire d’une crise biologique en cours

Tout a commencé en automne 2016 sur les côtes méditerranéennes d’Espagne avec la signalisation de mortalités massives de grandes nacres. Les premières analyses identifient le responsable de cette mortalité : le parasite Haplosporidium pinnae. La présence du parasite dans les glandes et les tubules digestives des grandes nacres provoque une importante réaction d’inflammation et un dysfonctionnement général de son métabolisme. Plus inquiétant, aucune réaction des hémocytes** n’est observée. Sur les côtes espagnoles, la population des grandes nacres a ainsi chuté de 99 %.

Carte de l’IUCN des observations de mortalité de grandes nacres. La cartographie est régulièrement mise à jour en fonction des observations réalisées sur l’ensemble de la Méditerranée. Pour la consulter en ligne :https://www.iucn.org/fr/news/mediterranean/201907/crise-de-la-grande-nacre-en-mediterranee-pinna-nobilis-mise-a-jour-juin-2019

En France, les premières mortalités sont détectées sur les côtes ouest de la Corse en juin 2018. Très vite les observations de mortalité se multiplient sur la façade ouest de l’île tandis que la côte est semble épargnée. Dans le même temps, de nombreuses nacres mortes sont signalées dans les Bouches-du-Rhônes. Le dernier épisode s’est joué en octobre 2019 avec des signalisations sur la Côte d’Azur. À l’échelle de la Méditerranée, des mortalités massives sont constatées jusqu’aux côtes ouest de la Turquie ainsi que sur la façade ouest de l’île de Chypre et sur les côtes Grecs (en 2018). Peu de mortalités ont été observées pour l’instant dans la partie sud du bassin méditerranéen ainsi que dans la mer Adriatique.

Une nacre morte observée en avril 2018 dans la baie de Calvi en Corse. L’intérieur de la coquille se remplie de sédiments et provoque progressivement son ensablement.

La source du mal

Avant toute action visant à préserver les grandes nacres encore vivantes, ou à en réintroduire, il est bien évidemment impératif de connaître la source de l’apparition du parasite et d’en connaître son mode de propagation, ainsi que les facteurs favorisant son développement.

En ce qui concerne la source du parasite Haplosporidium pinnae, l’hypothèse avancée est que cette espèce est étrangère à la Méditerranée et a été introduite en 2016, ou peu avant. Cependant, au vu du manque d’informations concernant sont aire géographique de répartition, il est impossible de définir clairement sa provenance. Haplosporidium pinnae est donc une espèce cryptogénique***. De plus, son mode de propagation, sa virulence et sa durée de survie en dehors de son hôte sont à l’heure actuelle inconnus.

Processus d’infection des grandes nacres par le parasite Haplosporidium pinnae en lien avec les variations de la température de l’eau au cours des saisons.

En revanche, l’un des facteurs favorisant son développement a été rapidement identifié : la hausse de la température de l’eau en Méditerranée liée au réchauffement climatique global. Plus précisément la température de la mer est plus élevée en été et reste haute plus longtemps après la période estivale. Ces dernières années tout particulièrement la baisse significative de la température de l’eau n’a été observées qu’à partir du début de l’hiver, et non durant la période automnale comme à l’accoutumé.

Un stress important est donc induit en réponse aux températures estivales plus élevées. Cela affaiblit les grandes nacres dont le système immunitaire sera moins performant face à des maladies et des virus. Ce type de stress a notamment déjà été observé en 2003 pour les mortalités massives de gorgones en Méditerranée avec une fois encore la présence d’un parasite. Dans le cas des grandes nacres, des températures plus élevées provoquent un effort respiratoire plus important et donc une allocation d’énergiemoindre au système de défense.

Une lueur d’espoir

Si le constat est actuellement plutôt désolant, un espoir existe. Si la mortalité des grandes nacres liée au parasite Haplosporidiumpinnae peut atteindre 100 % dans certaines régions, elle est réduite voire nulle dans des zones particulières. C’est notamment le cas dans les lagunes littorales où les grandes nacres seraient plus résistantes aux stress lié aux variations de température, les milieux lagunaires de Méditerranée étant naturellement soumis à des changements de température et de salinité rapides. De plus, des zones maritimes relativement closes protègent également des populations de Pinna nobilis saines. L’identification de populations résistantes au parasite est une étape primordiale dans le cas d’une éventuelle repopulations des zones d’extinction.

Cependant, avant toute planification de repopulation, il est nécessaire d’avoir du recul sur cette crise biologique. Les premiers résultats des recherches menées sur le sujet sur l’ensemble du bassin Méditerranéen commencent à peine à paraître (voir la bibliographie à la fin de cet article). Dans ce type d’épisode de mortalité massive d’une espèce il n’existe malheureusement aucune solution simple et évidente. Des actions précipitées ont généralement un effet nul voire négatif sur une crise en cour. Les seules actions actuellement possibles sont donc la récolte de données et la mise en commun des connaissance pour générer un effort de protection à l’échelle de la Méditerranée.

Pour en savoir (beaucoup) plus

Boiseux G., Pean M., Harmelin J.G. in : DORIS, 11/08/2019 : Pinna nobilis Linnaeus, 1758, https://doris.ffessm.fr/ref/specie/31

Catanese G., Grau A., Valencia J.M., et al. Haplosporidium pinnae sp. nov., a haplosporidan parasite associated with mass mortalities of the fan mussel, Pinna nobilis, in the Western Mediterranean Sea. Journal of invertebrate pathology, 2018, vol. 157, p. 9-24.

Darriba S. (2017). First haplosporidan parasite reported infecting a member of the Superfamily Pinnoidea (Pinna nobilis) during a mortality event in Alicante (Spain, Western Mediterranean). Journal of invertebrate pathology, 148, 14-19.

Katsanevakis S., Tsirintanis K., Tsaparis D., et al. The cryptogenic parasite Haplosporidium pinnae invades the Aegean Sea and causes the collapse of Pinna nobilis populations. Aquat. Invasions, 2019, vol. 14.

Glossaire

*Byssus : Fibres sécrétées par certains mollusques pour se fixer au substrat.

**Hémocytes : Cellules composant le système immunitaire des invertébrés.

***Cryptogénique : Terme désignant une espèce dont l’origine géographique est inconnue.

L’auteur

Arnaud Abadie est un écologue marin et un photographe subaquatique. Biologiste marin en Méditerranée pendant dix ans, il est désormais chargé d’études milieu marin à l’Agence de l’Eau Artois-Picardie. Arnaud est le fondateur de Sea(e)scape et l’un de ses contributeurs régulier.

5 thoughts on “Les mortalités massives de grandes nacres

  1. En algerie je me pose la question es que cette espèce a eu le même sort je vais essayer de faire une recherche pour embler vos recherche je ingenieur halieute merci

    1. Bonjour Dahamni,

      Comme vous pouvez le voir sur la carte de l’IUCN dans l’article, très peu de données sont disponibles en Algérie. Si vous arrivez à obtenir plus d’informations cela constitue des données importantes pour le suivi de l’épidémie. Voici la page dédiée pour les contacter et faire remonter les informations : https://www.iucn.org/fr/news/mediterranean/201907/crise-de-la-grande-nacre-en-mediterranee-pinna-nobilis-mise-a-jour-juin-2019

  2. Bonjour je suis actuellement en Croatie dans la région de de zadar et je peux vous confirmer que l’épidémie a bien atteint cette zone un spectacle désolant toutes les nacres sont mortes

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