Le cycle de l’eau en Corse

Le cycle de l’eau est connu de tous. Son fonctionnement est un enseignement classique de l’école primaire et un phénomène que nous pouvons observer quasiment au quotidien. C’est le principal processus d’échange entre l’océan et le milieu terrestre. Les réserves d’eaux douces mondiales sont fortement liées à ces échanges tout comme un nombre important de nos activités comme l’agriculture ou la production d’énergie électrique. Quel meilleur exemple qu’une île au relief très marqué comme la Corse pour comprendre et illustrer ce processus ? Vous allez voir que le cycle de l’eau réserve encore de belles découvertes bien qu’il soit étudié depuis toujours et qu’il est un rouage essentiel des changements globaux initiés par le réchauffement climatique.

Le cycle de l’eau.

Évapotranspiration

Nous connaissons tous les différentes étapes du cycle de l’eau. Sur les îles ayant un fort relief montagneux comme la Corse il est possible d’observer l’entièreté de ce cycle depuis un unique point d’observation lorsque l’on se trouve sur le littoral. Commençons donc à parcourir les différentes étapes en commençant par l’océan, ou plutôt la mer Méditerranée. Le cycle de l’eau peut être assimilé à une immense machine à vapeur à l’échelle de notre planète. L’eau de surface de la mer s’évapore sous l’action de la chaleur générée par le soleil. L’évaporation de l’océan est d’ailleurs l’un des phénomènes faisant varier sa salinité. Dans le cas de la mer Méditerranée, ce processus est accentué du fait de sa petite taille, de sa configuration quasiment fermée et des températures élevées durant les périodes chaudes de l’année. L’ensemble de l’eau présente sur la surface terrestre est également sujette à évaporation mais constitue un réservoir bien plus faible que les océans.

La chaleur générée par les rayons du soleil réchauffe la couche de surface de la mer et provoque l’évaporation de l’eau.

La mer n’est pas la seule source d’eau dans l’atmosphère. La végétation joue également ce rôle via le phénomène appelé l’évapotranspiration. En effet, les végétaux produisent de l’eau par transpiration (comme nous lorsque nous avons trop chaud) qui s’évapore également sous l’effet de la chaleur dégagée par l’énergie solaire. Globalement la transpiration des plantes compte pour environ 60 % de l’apport d’eau dans l’atmosphère. Cette proportion est encore plus importante dans les zones tropicales. Le changement climatique, l’urbanisation et la déforestation affectent bien évidemment ce processus et ainsi le cycle entier. La température moyenne annuelle de l’air en Corse a augmenté d’environ 1°C depuis 1970 sur le littoral et de 2°C aux altitudes supérieures à 500 m. Cela conduit à une évapotranspiration plus élevée sur le littoral de l’île, passant ainsi de 1 000 à 1 100 mm par an.

La végétation, comme celle du col de Bavella sur cette photo, transpire de l’eau qui s’évapore dans l’atmosphère comme celle de la mer.

La suite du cycle se passe dans l’atmosphère. L’eau qui s’est évaporée de la surface de la mer, de la terre et de la végétation se condense et s’agrège en nuages. Le teneur en eau influe sur la pression de l’air dans la basse atmosphère. Ainsi, plus la quantité d’eau est importante, plus la pression d’air diminue. Ce phénomène influe notamment sur la circulation atmosphérique, autrement dit sur la force des vents. En augmentant la quantité d’eau qui s’évapore, la hausse globale de la température de l’air augmente ainsi la teneur en eau dans l’atmosphère et donc influe sur les régimes de vents.

Les nuages s’accumulent dans la baie d’Ajaccio. Ils sont le résultat de l’évaporation et de l’agrégation de l’eau issue de la Méditerranée.

De l’eau ou de la neige

Au sein des nuages a lieu la coalescence, c’est à dire l’amalgamation de gouttelettes d’eau pour en former de plus grosses. Pour que les gouttes ainsi formées précipitent vers la surface, il faut que l’air arrive à saturation en eau. Deux mécanismes du transport d’eau depuis la surface vers l’atmosphère peuvent conduire à la saturation de l’air, et ainsi à deux sortes de précipitations. Les premières sont les précipitations dites stratiformes qui consistent une condensation uniforme à grande échelle, comme par exemple les précipitations côtières. Le second type de précipitations, dites connectives, correspond à une instabilité atmosphérique créant une brusque élévation d’une masse d’air chargée en humidité. La nature des précipitations – pluie, neige ou toute autre forme intermédiaire – dépends des température rencontrées par les gouttes ou les cristaux de glace entre leur altitude de formation et la surface. Si ces températures sont inférieures ou égales à 0°C, c’est alors de la neige qui tombe. Si les températures sont plus élevées ce sera de la pluie.

Un brouillard épais et humide se répand dans la forêt de Bonifato au nord-ouest de la Corse. Ce phénomène est suivi par des précipitations pluvieuses brèves mais intenses.

Lorsque les précipitations neigeuses atteignent le sol, elles s’accumulent pour former un manteau neigeux. En France la quantité de précipitations neigeuses est mesurée en centimètres. Si la température au sol est négative, la neige reste en place. La température de l’air diminue lorsque l’altitude augmente. Ce phénomène est appelé gradient thermique adiabatique*. La haute altitude du massif montagneux corse – le plus haut sommet, le Monte Cinto, culmine à 2 706 mètres – dispose de températures négatives durant l’hiver et le printemps, et assure ainsi le maintient pendant plusieurs mois d’une couche neigeuse. Les précipitations neigeuses sont cependant fluctuantes d’une année sur l’autre et l’enneigement très variable. La hausse des températures en altitude ces dernières années, dû au réchauffement climatique, engendre un recul en altitude de la limite pluie/neige.

Le lac de Mélo est situé à un peu plus de 1 700 m d’altitude. Sa surface gèle en hiver et les sommets montagneux qui l’entourent sont enneigés.

Transport d’eau

Lorsque la température devient positive, la neige fond et ravine le relief. Ce déplacement d’eau érode ce dernier sur des milliers d’années et façonne le flanc des montagnes. Lorsque le relief forme une cuve, la fonte des neiges et la pluie alimentent un lac qui lui-même sera la source d’une rivière ou d’un fleuve côtier**. La fonte des neiges en altitude n’est pas la seule source de formation des cours d’eau. La pluie est également source d’érosion.

Le lac de Nino (altitude 1 743 m) sur la plateau de Camputile au cœur du massif montagneux corse. Il est la source du fleuve côtier Tavignano qui se jette dans la Méditerranée.

La quantité de précipitations sous la forme de pluie est calculée en millimètres (mm). Un millimètre de pluie correspond à un litre de précipitations sur une surface d’un mètre carré. En 2019, les précipitations pluvieuses sur la totalité de la Corse s’élevaient à 219 millimètres ce qui est bien inférieur à la moyenne nationale qui est de 312 millimètres. Le régime de pluies de l’île est cependant irrégulier avec de longues périodes de sécheresse ponctuées de précipitations orageuses importantes. Le bouleversement climatique globale a une influence très visible sur le système hydrographique de la Corse. Les précipitations annuelles ont diminué de 20 à 30 % au cours des 40 dernières années sur l’ensemble de l’île. En parallèle, les événement extrêmes, comme les crues, sont plus nombreux et plus fréquents. De plus, l’étiage*** dure plus longtemps : cinq mois depuis 1984 au lieu de trois précédemment.

La rivière du Manganellu dans la forêt de Vizzavona située au centre de la Corse.

L’eau s’écoule le long de la pente du relief sous l’effet de la gravité. L’eau issue de la fonte des neiges forme des ruisseaux dans le creux du relief, puis se rejoignent pour former des rivières et ces dernières font de même pour former des fleuves qui se jettent dans la mer. Cet ensemble hydrographique est appelé un bassin versant. Par exemple, en France, les ressources en eau douce sont gérées par bassin versant par les Agences de l’Eau. En Corse, il n’existe pas à proprement parlé de bassin versant. Les fleuves côtiers naissent directement de la fonte des neiges et de petits lacs d’altitudes à quelques dizaines de kilomètres de leur embouchure sur le littoral de l’île. Ce réseau d’eau douce est d’une importance cruciale pour l’île que ce soit en terme de production d’électricité (quatre grands barrage sont construits sur l’île), d’irrigation des cultures, d’apports en eau potable et de biodiversité.

Toute l’eau issue des précipitations ne termine forcément dans un cours d’eau. Une partie s’infiltre dans le sol par les failles menant à des cavités souterraines où l’eau est stockée ; ce sont les nappes phréatiques. Le temps de résidence de l’eau dans ces réserves est variable selon la nature du sol. Il peut aller de quelques années à plusieurs dizaines. De plus, une partie de cette eau circule via un réseau de rivières souterraines qui peuvent relier plusieurs cavités les unes aux autres (comme les fameux cénotes de la péninsule du Yucatan).

Retour à la mer

Il est maintenant temps de terminer notre voyage à travers du cycle de l’eau de la Corse. Toutes les eaux finissent par retourner à la mer. Les fleuves terminent leur course dans la mer, créant des eaux dites « saumâtres » disposant d’une salinité intermédiaire. En Corse, l’embouchure des fleuves côtiers forment de petites zones humides (parfois saisonnières). Ces dernières abritent une biodiversité unique d’oiseaux, de reptiles, d’amphibiens et d’insectes. Les changements du régime pluviométrique décrits plus haut, en lien avec le réchauffement climatique, menacent à court terme la survie de ces espèces.

Zone humide en arrière de la plage d’Osani le long du sentier menant à Girolata.

Les fleuves charrient vers la mer de nombreux éléments dissous qui participent à la concentration et à la composition de la salinité marine au même titre que l’évaporation. Malheureusement, ils déversent également nos pollutions chimiques liées à l’agriculture et à nos zones urbaines. C’est également l’un des principaux vecteurs de transport de nos déchets qui se déposent inexorablement sur les fonds côtiers. Les courants marins peuvent également les transporter jusque dans les abysses. En Corse, l’activité agricole étant relativement limitée, les cours d’eau transportent peu de pollution. En revanche, les déchets jetés dans les espaces naturels se retrouvent dans les ruisseaux et les rivières au premier orage venu.

Le cycle est bouclé. Retour en mer dans les fonds rocheux de la baie de Calvi.

Les eaux souterraines retournent également à la mer. Ce type d’apport d’eau douce dans l’océan est appelé une « résurgence ». Cette dernière est une porte d’accès vers le réseau aquifère très prisée des plongeurs spéléologiques et des scientifiques.

Le mot de la fin

Comme vous l’avez certainement compris en lisant ces quelques mots, les perturbations du cycle de l’eau par le changement climatique impactent, ou impacteront, chacun des nombreux secteurs de l’environnement en Corse. Dans les années à venir, la vie des corses et l’économie de l’île vont subir de profonds bouleversements du fait de ces changements qui ne cessent de s’accélérer avec l’emballement du processus de dérèglement climatique global. Les perturbations observés à l’échelle de la Corse se produisent également à l’échelle mondiale. Les changements du cycle de l’eau sont très étudiés par les scientifiques car c’est ce processus qui régule l’apport en eau douce sur notre planète. Les ramifications d’un tel bouleversement sont innombrables et dramatiques et peuvent mener à de nouveaux conflits, de graves problèmes sanitaires et la survie de la biodiversité dans certains secteurs géographiques.

Pour en savoir (beaucoup) plus

Oki T., Kanae S. (2006) Global hydrological cycles and world water resources. Science 313 (5790): 1068-1072 (pdf)

Orsini A., Mori C. (2018) Changement climatique et milieu marin en Corse. Report Card 2018. IUCN (pdf)

Roderick M., Sun F., Lim W. H., Farquhar G. (2014) A general framework for understanding the response of the water cycle to global warming over land and ocean. Hydrology and Earth System Sciences 18: 1575-1589 (pdf)

Schlesinger W. H., Jasechko S. (2014) Transpiration in the global water cycle. Agricultural and Forest Meteorology 189: 115-117 (pdf)

Glossaire

*Gradient thermique adiabatique : variation de la température de l’air avec l’altitude. Ce gradient s’exprime en °C/100 m.

**Fleuve côtier : petit cours d’eau qui prend naissance à proximité de la côte et se jette directement en mer.

***Étiage : période durant laquelle un cours d’eau atteint son plus bas niveau.

Alors qu’il est urgent de préserver les océans, l’émerveillement et la compréhension de leur fonctionnement, de la richesse de la biodiversité marine et des enjeux de conservation, la vulgarisation scientifique constitue le premier pas vers la protection de l’environnement. Dans cette optique, et cela depuis ses débuts, Sea(e)scape a pour objectif de fournir gratuitement et sans publicité des articles et des images de qualité tout en restant indépendant et objectif.

Afin de poursuivre ces efforts de tous les instants et proposer toujours plus de contenu inédit, Sea(e)scape a besoin de votre soutien financier. Il n’ y a pas de petit don, chaque euro a son importance !

Merci de vous intéresser au monde marin. Merci de suivre le blog. Merci de le soutenir.

L’auteur

Arnaud Abadie est un écologue marin et un photographe subaquatique. Biologiste marin en Méditerranée pendant dix ans, il est désormais chargé d’études milieu marin à l’Agence de l’Eau Artois-Picardie. Arnaud est le fondateur de Sea(e)scape et l’un de ses contributeurs régulier.

1 thought on “Le cycle de l’eau en Corse

  1. constat malheureusement realiste et qui devrait nous interpeller davantage
    les belles photos ne doivent pas disparaitre dans l ‘ avenir

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *