Pêche et dauphins dans le golfe de Gascogne : la problématique des captures accidentelles
Il y a une trentaine d’années, le premier échouage important de cétacés était rapporté sur le littoral français. Depuis, de tels épisodes ont été recensés de plus en plus fréquemment et parfois accompagnés d’une mortalité inquiétante. Le dauphin commun, Delphinus delphis, est l’espèce la plus représentée dans ces échouages avec une majorité d’individus présentant des traces sur le corps potentiellement causées par les filets lors d’une capture accidentelle. Ce petit cétacé est le plus abondant le long de la façade atlantique française, mais également le plus exposé aux interactions avec les pêcheries. Depuis la fin des années 1990, les captures accidentelles de cette espèce ont majoritairement été associées à la pêche au chalut pélagique en hiver dans la zone du golfe de Gascogne. Bien que cette problématique soit de plus en plus étudiée par les scientifiques, il reste encore des zones d’ombre pour comprendre l’intégralité des interactions entre l’activité de pêche et les petits cétacés au sein de nos eaux. Le sujet confronte également l’important secteur économique que représente la pêche avec la conservation d’une espèce emblématique pour le public, menant à la mise en place de mesures de gestion à l’échelle européenne et nationale.
Les captures accidentelles dans le monde
Les captures accidentelles sont définies comme étant la part des captures des engins de pêche qui est rejetée en mer, vivante ou morte. Ces rejets peuvent avoir plusieurs raisons comme si l’espèce n’a pas ou peu de valeur économique ou bien si sa détention à bord est interdite de par sa taille ou son statut de protection.
Dès qu’un organisme vivant est pris dans un engin de pêche (un filet, un chalut ou le long d’une ligne) alors qu’il n’était pas visé par cette activité, il représente alors une capture accidentelle. Cette problématique a longtemps été négligée car le phénomène se produit dans des zones de pêche éloignées des côtes. De plus, avant la modernisation de la pêche qui a fortement augmenté le nombre et la longueur des engins, les captures accidentelles devaient être certainement moins fréquentes. La préoccupation pour l’écosystème est également apparue relativement tardivement dans ce secteur.
Aujourd’hui, les captures accidentelles représentent l’une des plus grandes pressions d’origine humaine sur le milieu marin, bien que le phénomène ne soit pas encore connu dans son intégralité. L’impact de ces captures non intentionnelles sur la biodiversité marine peut être direct en constituant une source de mortalité, ou indirect, par la réduction des ressources alimentaires. Elles représentent une réelle menace pour de nombreux taxons1, notamment certaines espèces de requins, de raies et de poissons qui n’ont pas d’intérêt commercial pour la pêche ainsi que les tortues marines, les oiseaux et les mammifères marins.
À titre d’exemple, de nombreux albatros finissent noyés au moment de la remontée des lignes de palangre car ils y restent accrochés en voulant s’alimenter des appâts attachés aux hameçons. Cela engendre d’ailleurs un déclin important de certaines populations2, comme celles de l’Albatros d’Amsterdam (Diomedea amsterdamensis). Pour d’autres espèces menacées comme la tortue luth (Dermochelys coriacea), le vaquita (Phocoena sinus) et le dauphin à bosse de l’Atlantique (Sousa teuszii), leur déclin est aussi principalement causé par les captures accidentelles (Komoroske & Lewison, 2015).
Dans le monde, 300 000 cétacés3 décèdent chaque année en raison des captures accidentelles, faisant de ce phénomène la plus grande menace pour les mammifères marins à l’échelle globale (source : Fonds international pour la protection des animaux). Les cas les plus souvent décrits sont les interactions dites « alimentaires » qui concernent la pêche aux poissons pélagiques tels que les anchois, les sardines ou les maquereaux. Les cétacés à la recherche de petites proies, pendant leur action de chasse, se retrouvent au même endroit et au même moment que les engins de pêche. Une fois pris dedans, les mammifères ne peuvent plus remonter à la surface et décèdent asphyxiés dans l’eau.
Par exemple, aux Açores, les thons ciblés par la pêche se nourrissent des mêmes proies que les dauphins. Les sennes tournantes en Australie ainsi que les chaluts pélagiques en Nouvelle-Zélande et sur la côte Est des États-Unis sont aussi des pêcheries régulièrement associées à des captures accidentelles de cétacés. Dans les eaux européennes, les captures qui font le plus parler d’elles se situent dans l’Atlantique, non loin des côtes françaises, dans le golfe de Gascogne.
Le golfe de Gascogne et les captures accidentelles
De nombreuses captures accidentelles de cétacés sont suspectées d’avoir lieu dans le golfe de Gascogne, c’est-à-dire la zone entre la pointe bretonne et la côte Nord de l’Espagne. Globicéphales (Globicephala melas), dauphins de Risso (Grampus griseus), grands dauphins (Tursiops truncatus), dauphins à nez blanc (Lagenorhynchus alabastrites) et marsouins communs (Phocoena phocoena) font partie des espèces pour lesquelles les captures accidentelles ont été identifiées comme une menace importante dans ce secteur (García-Baron et al., 2019). Néanmoins, le dauphin commun (Delphinus delphis) est l’espèce la plus menacée et qui fait l’objet du plus grand nombre d’études à l’heure actuelle.
Dans le golfe, divers processus océanographiques font que les écosystèmes marins y sont très productifs. Cela se traduit par une importante disponibilité de poissons et de nombreuses pêcheries s’y sont développées en conséquence.
À l’instar des pêcheries aux Açores, les captures accidentelles de dauphins communs dans le golfe de Gascogne résultent d’une interaction alimentaire. En effet, les bars et merlus pêchés aux chaluts pélagiques se nourrissent de sardines et d’anchois, tout comme les dauphins. Chalutiers, bars, merlus et dauphins communs ont donc tendance à se retrouver dans les mêmes zones, ce qui augmente considérablement la probabilité de captures accidentelles.
D’autres pêcheries, utilisant des filets maillants ou trémails et les sennes danoises, sont également un risque pour les cétacés, notamment à cause du grand nombre d’engins déployés dans le golfe de Gascogne (les fileyeurs seraient 20 fois plus nombreux que les chaluts pélagiques dans le golfe).
Dès la fin des années 1980, les bénévoles du Réseau National Échouages (RNE) ont recensé les premiers échouages multiples6 de cétacés sur le littoral atlantique français. En février 1989, près de 600 échouages de dauphins communs ont été observés en seulement quelques jours.
Il existe de nombreuses causes de mortalité chez les cétacés qui auraient pu expliquer ces événements, qu’elles soient naturelles (mortalités naturelles des individus âgés et très jeunes, pathologies infectieuses, prédation, compétition entre mammifères marins pour les ressources alimentaires) ou d’origine humaine (capture accidentelle, pollutions chimiques et sonores, microplastiques, changements globaux). En revanche, les captures accidentelles laissent des traces qu’il est possible d’observer au moment de la nécropsie sur un corps peu décomposé. Ces mêmes marques ont été observées de plus en plus fréquemment sur les carcasses de dauphins communs.
Le fait que l’animal était en bonne condition physique avant sa mort et la présence de lésions externes (fracture du rostre5, amputation, trou de gaffe) pourraient orienter la cause du décès vers une capture accidentelle. Le diagnostic interne peut être amené à renforcer cette hypothèse si l’estomac de l’animal est plein (synonyme qu’il venait de s’alimenter avant sa mort et donc d’une interaction alimentaire avec un chalutier) ou que des lésions pulmonaires liées à une asphyxie sont observées (signe que l’animal est décédé sans pouvoir remonter respirer à la surface). En revanche, ces traces disparaissent rapidement avec la décomposition du corps, d’où l’importance de prévenir rapidement le RNE lorsqu’un corps est découvert.
Le risque de capture accidentelle dans le golfe de Gascogne est le plus important durant les premières semaines de l’année, très certainement en raison de l’intensification de l’effort de pêche au chalut pélagique à cette période puisque le poisson y est plus abondant. Les échouages de cétacés s’observent également en grande majorité durant la période hivernale. En moyenne, 80% des échouages annuels de dauphins communs sur la côte atlantique française sont observés entre la fin janvier et début avril (Rouby et al., 2022).
Ces dernières années, les chiffres des échouages ont grimpé en flèche et la tendance est toujours à la hausse. 2017 a été une année particulièrement inquiétante en termes d’échouages : le RNE a retrouvé 908 dauphins communs échoués sur le littoral atlantique français avec la grande majorité d’entre eux présentant des traces de captures accidentelles. En 2019, le phénomène s’est répété avec 1 070 échouages et cet effectif a atteint son record en 2020 avec près de 1 200 dauphins communs retrouvés sur le littoral. Précisément durant 2017 et 2019, des études ont montré que les pêcheurs avaient eu tendance à réaliser des traits de chaluts7 plus importants, augmentant ainsi considérablement le risque de capture non intentionnelle (Rouby et al., 2022).
Il faut également garder en tête que tous les dauphins capturés accidentellement ne finissent pas échoués. Selon Pelagis, l’observatoire scientifique français en charge d’étudier les captures accidentelles, environ 4 000 dauphins seraient donc décédés en 2017 des suites de captures accidentelles, près de 10 000 en 2019 et 8 700 en 2020.
Comment savoir si le dauphin commun est menacé sur le long terme dans le golfe de Gascogne ?
La question paraît simple en apparence, mais y répondre n’est pas si évident pour les scientifiques. Le dauphin commun, et les petits cétacés en général, ont un potentiel de rétablissement limité car ils ont une grande espérance de vie, une maturation sexuelle tardive et une fécondité8 réduite (un seul petit tous les 2 ou 3 ans). Ils sont donc particulièrement sensibles à la mortalité causée par les activités humaines puisqu’il faudra plusieurs années voire décennies pour que la population puisse se rétablir.
Pour étudier si oui ou non les populations de dauphins communs du golfe de Gascogne déclinent du fait des captures accidentelles et mesurer l’amplitude de cette menace, les scientifiques disposent de deux sources d’informations.
Traditionnellement, les données de captures accidentelles proviennent d’observateurs embarqués à bord des navires qui doivent répertorier toute espèce non ciblée présente dans les engins de pêche. Cette approche permet d’identifier la spécificité des interactions entre les dauphins communs et les pêcheries, c’est-à-dire d’estimer le risque de capture accidentelle pour chaque engin de pêche. En France, c’est le programme ObsMer de l’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer) qui a la charge de récolter ces observations.
De 2004 à 2021 et sur un total de 4 484 traits de chaluts, ObsMer en a relevé 82 qui étaient associés à un événement de capture accidentelle. Cela représenterait en moyenne 600 individus capturés accidentellement par année dans le golfe de Gascogne, bien que les estimations varient grandement d’une année à l’autre. Cependant, ces données issues d’observateurs sous-estiment grandement les captures accidentelles et cela pour plusieurs raisons. D’une part, les événements restent rarement observés et cela induit un biais statistique important. D’autre part, seule une petite partie de l’ensemble des sorties de pêche est suivie par ce dispositif.
En parallèle, les scientifiques disposent des données d’échouages du RNE pour étudier les captures accidentelles. Ces informations sont en mesure de fournir des indicateurs de populations des cétacés très utiles pour leur conservation et permettent d’étudier l’entièreté des captures accidentelles, indépendamment du métier de pêche considéré.
Puisque tous les dauphins pris dans des engins de pêche ne s’échouent pas sur le littoral, Pelagis a développé une méthode pour calculer la probabilité des corps de flotter, de dériver vers la côte et d’être découvert afin de pouvoir déduire la totalité des mortalités en mer à partir des échouages retrouvés sur les côtes. Les scientifiques de Pelagis se sont inspirés du modèle de dérive en mer MOTHY de Météo France, initialement prévu pour prédire l’échouage de marées noires, afin de calculer la probabilité de dérive à la côte en fonction des conditions météorologiques et même de retracer la zone où un dauphin a été capturé selon le lieu où son corps a été découvert.
Grâce à cette méthode désormais appliquée en routine, ils ont pu en déduire que la très grande majorité des dauphins communs était capturée accidentellement sur le plateau continental9 du golfe de Gascogne. Ces zones peuvent ensuite être comparées à celles où les efforts de pêche sont les plus importants pour voir si elles se superposent. Cependant, cela ne démontre pas de lien de cause à effet. Les scientifiques s’accordent néanmoins sur la complémentarité entre l’approche par les observateurs embarqués et celle par les échouages, puisque les observateurs apportent des données précises sur chaque métier de pêche tandis que les échouages permettent d’étudier l’ensemble des captures accidentelles tous métiers confondus.
Une autre difficulté pour savoir si les captures accidentelles induisent un déclin du dauphin commun concerne la structure de population de cette espèce en Atlantique Nord-Est. La première difficulté consiste à savoir si une ou deux populations sont présentes dans cette zone. Les études génétiques suggèrent qu’une seule population est présente tandis que des approches écologiques suggèrent une séparation entre les dauphins vivant sur le plateau continental et ceux vivant plus au large.
Les recensements aériens et à bord de navires océanographiques estiment à 65 000 le nombre de dauphins communs sur le plateau continental, 115 000 au large et 180 000 dans l’hypothèse d’une unique population. Il est évident que les mortalités par captures accidentelles n’ont pas la même implication pour l’espèce si elles sont appliquées à une unique grande population ou uniquement à celle plus réduite du plateau continental.
Les experts internationaux ont fixé à 1,7 % de la population le seuil des mortalités d’origine humaine à ne pas franchir afin de ne pas engendrer un déclin du nombre d’individus. Néanmoins, ce seuil est régulièrement dépassé même dans l’hypothèse d’une seule grande population qui serait par définition plus résiliente en raison d’un plus grand nombre de dauphins (2,2 % en 2017, 5,3 % en 2019 et 4,8 % en 2020). À ce rythme, le nombre de dauphins communs pourrait avoir été divisé par cinq d’ici trente ans et ils pourraient disparaître de nos côtes d’ici une centaine d’années.
En revanche, s’il s’avère qu’en réalité le dauphin commun est séparé en deux populations, les mortalités par captures accidentelles seraient bien plus inquiétantes pour la population du plateau continental qui déclinerait alors à une vitesse beaucoup plus importante. Cette incertitude quant au rythme du déclin du dauphin commun joue également sur la façon dont les pouvoirs politiques vont avoir à gérer les captures accidentelles.
Les moyens de gestion et de réduction des captures accidentelles
La Politique Commune de la Pêche (PCP) est l’adaptation européenne de la Politique Commune Agricole appliquée au milieu halieutique. En 2004, la PCP s’est fixée comme objectif d’estimer et de réduire l’incidence des captures accidentelles sur toutes les espèces soumises à cette pression dans les eaux européennes (règlement EU 812/2004).
Ce cadre légal impose donc le suivi des captures accidentelles sur 5 à 10 % de l’effort de pêche des navires supérieurs à 15 mètres. Néanmoins, seuls les Pays-Bas et le Royaume-Uni (avant Brexit) ont rempli cet objectif. La France n’a surveillé que 1,8 % de ses flottilles de chalutiers et l’Espagne n’a pas rapporté de données à l’Union Européenne, bien que des navires de ces deux pays pêchent dans le golfe de Gascogne. De plus, l’attention portée aux navires de plus de 15 mètres n’est pas représentative de l’ensemble des pêcheries. En effet, 80% des navires de pêche professionnelle en Union Européenne ont une taille inférieure à 12 mètres.
En parallèle, la PCP impose l’utilisation systématique de répulsifs acoustiques, dont le but est d’éloigner les cétacés des engins de pêche, sur les fileyeurs de plus de 12 m. Mais cette mesure ne concerne pas le golfe de Gascogne car elle s’applique au-delà de 48° Nord, c’est-à-dire au-dessus de la pointe bretonne.
D’autres dispositifs européens se préoccupent de la conservation des cétacés et de la problématique des captures accidentelles comme la Directive Habitat-Faune-Flore (DHFF), la Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin (DCSMM) ou encore l’Accord sur la conservation des petits cétacés de la Baltique et de la Mer du Nord (ASCOBANS).
Bien qu’ils définissent des objectifs de protection ou de bon état écologique, ces textes européens et internationaux sont moins contraignants car n’imposent pas les moyens pour atteindre ces cibles. Les captures accidentelles peuvent, bien évidemment, être déclarées par les pêcheurs eux-mêmes selon leur bon vouloir. Depuis 2020, ces déclarations sont d’ailleurs devenues obligatoires concernant les cétacés. Mais peu de retours ont été effectués par rapport à ce que suggèrent les échouages : seules quelques dizaines de captures ont été déclarées sur toute l’année 2020. Les raisons expliquant qu’il y ait si peu de déclarations restent inconnues.
Du côté de la recherche, le projet pilote PIC a été lancé durant l’hiver 2017-2018 pour tester des technologies de répulsifs acoustiques afin d’évaluer la pertinence d’en équiper les chalutiers pélagiques et les fileyeurs pour limiter les captures accidentelles de petits cétacés. PIC a d’ailleurs vu le jour grâce à l’initiative des Pêcheurs de Bretagne, soucieux de vouloir réduire l’impact de leur activité tout en continuant à la pratiquer. Les résultats de ce programme ont mis en évidence que les chalutiers équipés de répulsifs ont montré une diminution des captures accidentelles de 65 %, confirmant l’efficacité de ce dispositif pour cette flottille.
Suite à ces observations encourageantes, un programme de recherche plus ambitieux intitulé LICADO a été initié en 2019. Tout juste terminé en mai 2022, il a été piloté par le Comité National des Pêches Maritimes et des Élevages Marins, donc les pêcheurs eux-mêmes, pour couvrir trois saisons de pêche hivernale.
Le projet LICADO comportait deux volets. D’une part, l’objectif technologique consistait à perfectionner les répulsifs acoustiques afin de les rendre plus efficaces sur les chaluts pélagiques. Il s’agissait notamment de résoudre des problèmes liés à l’autonomie des répulsifs, à leur praticité ainsi qu’à leur interactivité (déclenchement uniquement en présence de dauphins pour ne pas représenter une source de pollution sonore permanente).
D’autre part, le volet de gestion s’est concentré sur la compréhension des interactions entre les dauphins et les fileyeurs et la mise en œuvre de pratiques et de stratégies d’évitement pour ces méthodes de pêche à l’aide d’un travail mené conjointement avec les pêcheurs. En effet, il existe encore des lacunes sur les interactions entre dauphins et fileyeurs et les répulsifs se sont avérés bien moins efficaces sur ces flottilles.
Il est encore trop tôt pour obtenir les résultats de cette étude, mais il est important de souligner l’implication des pêcheurs au sein du programme LICADO pour les tests d’amélioration des répulsifs sur les chaluts, leurs disponibilités à répondre aux enquêtes, l’acceptation des observateurs à bord et leurs retours sur la réalité du terrain face aux propositions de moyens de gestion.
Des réflexions sont également en cours sur l’installation de caméras à bord des navires, qui s’activeraient au moment de la remontée des filets et dont les vidéos seraient transmises aux scientifiques.
Selon les scientifiques, la meilleure stratégie de conservation pour le dauphin commun reste la priorisation des stratégies d’évitement plutôt que des solutions technologiques de répulsion, bien que les deux soient complémentaires. La mise en place de périodes et de zones de fermeture des pêcheries est donc fortement recommandée. Cela aurait cependant pour contrepartie de diminuer les rendements économiques de la pêche.
En 2020, les experts du Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM) ont estimé le meilleur compromis pour réduire les captures accidentelles à un niveau soutenable pour le dauphin commun, tout en limitant les pertes économiques des pêcheries, Il s’agirait d’interdire tous les métiers de pêche sujets aux captures accidentelles de mi-janvier à mi-mars sur le plateau continental du golfe de Gascogne, en plus de l’utilisation systématique de répulsifs sur les chaluts le reste de l’année.
La période hivernale étant cependant très importante pour les pêcheurs, cette stratégie d’évitement est loin de faire l’unanimité. Suite à cette recommandation européenne, la France a rendu obligatoire l’utilisation des répulsifs sur les chaluts pélagiques portant le pavillon français à partir de 2021, sans instaurer de période et de zone de fermeture de la pêche.
Le mot de la fin
Les captures accidentelles de dauphins communs dans le golfe de Gascogne ne sont qu’un exemple local de cette problématique qui touche de nombreuses populations de cétacés et d’autres animaux marins à travers les océans. La complexité des captures accidentelles réside dans la multiplicité des enjeux de ce phénomène.
Les deux plus évidents sont écologiques et économiques : il est difficile de mettre tous les acteurs d’accord sur le compromis idéal entre la conservation des dauphins communs et le rendement économique des pêcheries. Les captures accidentelles impliquent également un enjeu éthique puisque qu’elles nous amènent à réfléchir sur notre (sur)consommation des ressources du vivant.
Enfin, avec de plus en plus d’actions militantes d’ONG ces dernières années, ce phénomène devient aussi sociétal. Il est donc peu probable que les captures accidentelles soient intégralement résolues dans les années à venir, bien que les actions en faveur de leur réduction devraient s’intensifier et limiter le déclin de la population du golfe de Gascogne.
Il est finalement important de souligner le rôle des pêcheurs au sein de cette problématique. L’emballement médiatique, la stigmatisation et les amalgames amènent rapidement à la rupture du dialogue avec les professionnels de la pêche, alors qu’ils sont de plus en plus nombreux à être soucieux de l’environnement marin et impliqués dans la réduction de l’impact de leur pratique.
Glossaire
1Taxon : regroupement d’organismes vivants qui possèdent des caractéristiques communes bien définies.
2Population : ensemble des individus d’une même espèce qui occupe une même zone géographique.
3Cétacé : taxon au sein des mammifères marins regroupant les baleines, rorquals, cachalots, dauphins et marsouins.
4Pod : terme anglo-saxon désignant un groupe de cétacés.
5Rostre : prolongement antérieur rigide surmontant la tête.
6Échouage multiple : échouage de mammifères marins qui n’appartiennent pas à la même structure sociale, voir pas à la même espèce, mais partageant la même cause de mortalité et s’étant échoués dans un intervalle de temps et d’espace restreint.
7Trait de chalut : période durant laquelle le navire traîne le chalut.
8Fécondité : capacité d’un individu à se reproduire au cours de sa vie.
9Plateau continental : prolongement du continent sous la mer.
Pour en savoir (beaucoup) plus
Peltier H., Authier M., Caurant F., Dabin W., Dars C., Demaret F., Meheust E., Ridoux V., Van Canneyt O. & Spitz J. 2019. Etat des connaissances sur les captures accidentelles de dauphins communs dans le golfe de Gascogne – Synthèse 2019. Rapport technique. LR univ./CNRS PELAGIS. 23 pages. https://www.observatoire-pelagis.cnrs.fr/wp-content/uploads/2021/04/ByCatch_Rapport_CAPECET_DEB_2019.pdf
Peltier H., Authier M., Caurant F., Dabin W., Daniel P., Dars C., Demaret F., Meheust E., Ridoux V., Van Canneyt O. & Spitz J. 2020. Identifier la co-occurrence spatio-temporelle des captures accidentelles de dauphins communs et des pêcheries dans le golfe de Gascogne de 2010 à 2019. Rapport technique. LR univ./CNRS PELAGIS. 25 pages. https://www.observatoire-pelagis.cnrs.fr/wp-content/uploads/2021/05/2020_Rapport_ZonesMortalite_ZonesPeche.pdf
Meheust E., Dars C., Dabin W., Demaret F., Méndez-Fernandez P., Peltier H., Spitz J., Caurant F. & Van Canneyt O. 2021. Les échouages de mammifères marins sur le littoral français en 2020. Rapport scientifique de l’Observatoire Pelagis, La Rochelle Université et CNRS. 43 pages. https://www.observatoire-pelagis.cnrs.fr/wp-content/uploads/2022/01/Rapport_2020.pdf
Mannocci L., Dabin W., Augeraud-Ve´ron E., Dupuy J-F., Barbraud C. & Ridoux V. 2012. Assessing the Impact of Bycatch on Dolphin Populations: The Case of the Common Dolphin in the Eastern North Atlantic. PLoS ONE 7: e32615. doi:10.1371/journal.pone.0032615. https://journals.plos.org/plosone/article/file?id=10.1371/journal.pone.0032615&type=printable
García-Baron I., Santos M. B., Uriarte A., Inchausti J.I., Escribano J. M., Albisu J., Fayos M., Pis-Millan J.A., Oleaga A., Alonso Mier F.E., Hernandez O., Moeno O. & Louzao M. 2019. Which are the main threats affecting the marine megafauna in the Bay of Biscay? Continental Shelf Research 186: 1–12. doi: 10.1016/j.csr.2019.07.009
L’auteur
Thibaut Roost est originaire d’Alsace, autant dire qu’il a commencé sa vie loin de l’écume et des embruns. Mais à 11 ans, il a enfilé une combinaison, un masque et des palmes pour débuter la plongée en gravière. L’appel de l’océan n’a donc pas tardé à se faire entendre par la suite. Aujourd’hui, il est diplômé d’un Master en Gestion de l’Environnement et Ecologie Littorale de l’Université de La Rochelle et est plongeur professionnel. Il a à cœur d’allier sa curiosité pour l’écologie et sa passion pour la mer dans son futur travail car il souhaite mener des recherches pour la conservation et la restauration des écosystèmes marins.
Merci Beaucoup ! super interressant !