La baie d’Authie : entre érosion côtière et rencontre avec le Vivant
Les estuaires sont des sites naturels d’exception où la biodiversité marine rencontre celle des terres. Ces habitats si particuliers sont très sensibles aux activités humaines qui peuvent venir perturber le fonctionnement des écosystèmes. Le changement climatique vient également mettre à mal ces milieux naturellement mouvants en favorisant la submersion marine et l’érosion du trait de côte. Je vous propose de découvrir les enjeux émergents des interaction du Vivant le temps d’une balade hivernale en baie d’Authie dans le nord de la France.
Une encoche dans le littoral sableux
Pour aller à la découverte des estuaires je vous propose une petite promenade hivernale sur le littoral de la baie d’Authie. Avant de partir en vadrouille un peu de géographie n’est pas inutile. La baie d’Authie est une petite encoche dans la côte sableuse des Hauts-de-France, coincée entre la baie de Somme (au sud) et la baie de Canche (au nord). Cette écorchure est le fruits des mouvements sédimentaires issus de l’embouchure de l’Authie dans la Manche après une course de 108 km qui se termine au niveau de la ville de Berck-sur-Mer.
La petite baie est située au cœur du Parc naturel marin des estuaires picards et de la mer d’Opale (PNM EPMO) créé en 2012. Cette aire marine protégée couvre une superficie de 2 300 km² pour un linéaire côtier de 118 km. Le PNM EPMO est géré par l’Office français de la biodiversité (OFB) qui a mis en place en 2015 un plan de gestion afin de préserver la biodiversité marine tout permettant une réglementation plus stricte de certaines activités humaines.
Si la partie marine de la baie d’Authie est protégée, la partie terrestre n’est pas en reste. Depuis 1986 le Conservatoire du littoral a enchaîné les acquisitions foncières afin de préserver le littoral de la baie de toute expansion urbaine. Au total ce sont 119 hectares qui ont été obtenus de la sorte. Des sentiers ont ensuite été aménagés par le conservatoire afin de canaliser les déplacements des visiteurs sur le site naturel. Cette mesure permet d’éviter le piétinement d’espèce végétales sensibles et la dégradation des dunes sableuses.
Tous ces dispositifs de protection augurent du meilleur pour ma petite randonnée hivernale sur un site naturel préservé ! Il est temps de commencer à marcher.
L’artificialisation de la côte
En quittant le parking au sud de Berck c’est la première chose qui frappe : le béton. Le littoral de la ville est entièrement artificialisé avec des aménagements constitués de blocs rocheux et de structures en béton. Le but de ces équipements est de stabiliser le littoral afin de pérenniser les bâtiments construits à proximité du rivage.
Le problème est que le trait de côte est naturellement très mouvant dans les estuaires picards dont fait partie la baie d’Authie. La nature sableuse du littoral facilite les mouvements sédimentaires sous l’action de la houle, des courants et de la dérive littorale1.
Ces phénomènes naturels sont amplifiés par le changement climatique. L’augmentation de la température de la mer (dilatation des masses d’eau) et la fonte des calottes polaires entraînent une élévation du niveau des océans. A cela s’ajoute une plus grande fréquence des événements extrêmes comme les tempêtes qui favorisent l’érosion du trait de côte. L’érosion moyenne au niveau de la commune de Berck-sur-Mer est de 0,4 m par an. Cette valeur atteint quasiment 1 m dans les secteurs les plus exposés.
Une érosion flagrante
Le littoral au sud de la ville a été aménagés sur plusieurs kilomètres pour faire face à l’inéluctable érosion côtière et protéger les dunes, les forêts en bord de mer et les habitations. Cette barrière artificielle fort coûteuse ne constitue cependant qu’une protection éphémère face aux éléments.
En poursuivant ma promenade je tombe sur une preuve flagrante de la vitesse du phénomène d’érosion. C’est une construction entière qui gît sur la plage. Plus loin c’est un cube de béton qui attire mon attention. En 2019 ce blockhaus de la Seconde guerre mondiale s’effondrait au pied de la dune sur laquelle il se tenait depuis presque 80 ans.
L’érosion littorale ne concerne pas uniquement des bâtiments vides et constitue une réalité pour de nombreuses personnes vivant en zone côtière. Selon le Cerema2 ce sont jusqu’à 50 000 logements qui seront menacés en France par le recul du trait de côte d’ici 2100.
Quid de la biodiversité ?
Vous vous dites certainement que cette balade n’a que peu d’intérêt si elle consiste uniquement à compter les blocs de la digue de protection, ou bien les blockhaus effondrés. Et bien non. Il y a bien d’autres intérêts que les quelques traces d’activités humaines sur le littoral de la baie d’Authie qui reste un espace largement naturel. Il y a la biodiversité !
Tout d’abord il y a les espèces végétales qui colonisent les dunes comme l’oyat (Ammophila arenaria). Cette plante a l’air banale et pourtant elle joue un rôle essentiel dans la stabilisation des dunes et la protection de ces dernières contre l’érosion. D’autres espèces végétales de plus petites taille et plus tolérantes aux embruns salé peuplent les étages inférieurs de la plage.
Le Vivant de la baie d’Authie est aussi animal. Les oiseaux marins nicheurs sont très présents. Des sternes, des mouettes, des goélands, des cormorans. Ce sont ainsi 18 espèces d’oiseaux marins qui nichent régulièrement en Manche-Mer du Nord. Pour ma part j’ai eu l’occasion d’observer brièvement un groupe de cormorans (probablement des grands cormorans Phalacrocorax carbo) qui s’est jeté à l’eau à la recherche de leur pitance.
Enfin il y a les traces indirectes d’une biodiversité pour laquelle il faut normalement se mouiller pour l’observer. Si je vous dit qu’il est possible d’observer des requins et des raies sur la plage vous me croyez ? Bon, j’exagère un peu (beaucoup) mais il est tout à fait possible d’observer des œufs de ces animaux cartilagineux sur le littoral (pour les espèces ovipares3). Pour être plus exact ce sont le plus souvent les capsules, c’est à dire l’enveloppe des œufs, qui sont visibles. Durant mes quelques heures de marche ce sont ainsi plusieurs dizaines de capsules d’œufs de raies que j’ai pu observé.
Une bouée ? Non un phoque !
Après quelques heures de marche il est temps de faire une pause déjeuné. La marée, montante depuis le début de ma petite randonnée, commence à refluer lentement. Je m’installe au pied d’une dune pour un repas avec vue sur mer quand un OFNI4 attire mon attention. Cela ressemble fort à une bouée de pêcheur de couleur sombre qui flotte paisiblement à proximité du rivage. Tout à coup la « bouée » tourne sa tête vers moi… c’était un phoque en fait !
Je savais que la baie d’Authie est réputée pour ses phoques mais je ne m’attendais pas à en voir autant. Deux espèces de phoques sont observables sur les côtes picardes : le phoque veau-marin (Phoca vitulina) et le phoque gris (Halichoerus grypus). Ils sont des dizaines à se dorer au soleil sur les bancs de sable se dévoilant avec la marée descendante. Un grand nombre sont dans l’eau en quête de nourriture. Les plus jeunes jouent et font parfois des bonds hors de l’eau. Leur approche est interdite afin de ne pas perturber cette faune sauvage peu habituée à la présence des humains. Je n’ai donc malheureusement pas de photo de phoque à vous montrer n’étant pas encore équipé correctement en objectifs.
Quand la mer descend
Plus je continue de marcher vers le sud, moins je rencontre d’humain. Et la mer continue à descendre. J’arrive enfin à l’embouchure de l’Authie. Je suis totalement seul. Devant moi s’étale une vaste étendu de sable humidifié par la marée descendante. Le faible relief du paysage procure une impression d’immensité que seule la pleine mer peu concurrencer. Je peux distinguer au loin la silhouette des phoques qui profitent d’un bain de soleil hivernal sur les bancs de sable au centre de la baie. Après quelques minutes à profiter de cette tranquillité il est temps pour moi de faire demi-tour.
Sur le chemin du retour le paysage est en train de se modifier sous mes yeux. En reculant la mer révèle toute la complexité évanescente du paysage intertidal5. Des rigoles de sable se creusent pour canaliser l’eau de la mer qui se retire et des sédiments indurés se révèlent. Plusieurs espèces d’oiseaux viennent chercher de la nourriture dans le sable humide
Ainsi, de nouvelles structures d’origine humaine émergent aussi à marée basse. Des pieux, des digues, c’est tout un fatras de systèmes de protection du littoral qui s’offre à mes yeux. La plupart sont anciens et ne semblent pas avoir rempli avec beaucoup de succès leur office.
Plus je m’approche de mon point de départ et plus le nombre d’humains augmente. Après le calme et la tranquillité du bout du littoral il est temps de retrouver l’agitation humaine.
Le mot de la fin
Se promener en baie d’Authie c’est avoir un condensé des enjeux littoraux actuels en quelques heures : l’érosion de la côte, l ‘artificialisation du sol, la protection de la biodiversité, la gestion de la fréquentation des espaces naturels. Cela pose également la question de la définition d’un espace naturel, les traces d’activités humaines étant omniprésentes. Les déchets notamment nous rappellent en permanence notre impact sur les écosystèmes.
Ces espaces de contact avec le Vivant sont primordiaux. Ils fournissent au plus grand nombre de personnes la possibilité d’avoir le plus librement possible un contact avec la biodiversité. Ces confrontations concrètes aux enjeux environnementaux sont indispensables pour l’acceptation des mesures de gestion permettant la protection des habitats naturels et de la faune et la flore en dépendant.
En savoir (beaucoup) plus
La page du conservatoire du littoral du site de la baie d’Authie
La page internet du CEREMA sur l’érosion du littoral
Découvrir la flore du littoral de la Manche
Kerambrun G (2014) Evolution du trait de côte sur le littoral du Nord Pas de Calais (pdf)
Yésou P, Cadiou B, Germain L (2012) État biologique – Caractéristiques biologiques – biocénoses – Oiseaux marins. 10P (pdf)
Glossaire
1Dérive littorale : la résultante des houles arrivant obliquement au littoral. Le retrait des eaux se fait dans le sens de la plage, généralement, perpendiculairement au trait de côte. Les sédiments entraînés par le déferlement des houles ne reviennent donc pas à leur point de départ.
2Cerema : Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement.
3Oviparité : stratégie de reproduction d’une espèce où l’ovule à maturation au sein de la femelle est ensuite pondu sous la forme d’un œuf.
4OFNI : objet flottant non identifiés.
5Intertidal : désigne ce qui est situé entre la marée basse et la marée haute, c’est-à-dire la bande qu’on appelle aussi l’estran.