Les aires marines protégées comme outil de protection de la biodiversité

L’océan et les services rendus par ses écosystèmes constituent un patrimoine naturel exceptionnel. Il absorbe la chaleur excédentaire de la planète, une partie de nos émissions de gaz à effet de serre, soutient de nombreuses économies, produit plus de la moitié de l’oxygène de l’atmosphère et régule le climat global. En revanche, ces capacités sont affectées par les pressions humaines sur l’océan. C’est pour cette raison que les aires marines protégées ont été créées, afin de limiter la surpêche, les exploitations destructrices de ressources, la pollution excessive et la disparition d’habitats. Véritables sanctuaires, ces zones préservent l’étonnante vie marine, garantissent la subsistance de la pêche, stimulent l’économie locale et permettent aux touristes de découvrir des trésors de biodiversité préservée.

En France et dans le monde, les aires marines protégées deviennent à la mode

Une aire marine protégée, ou AMP, est définie comme un espace bien délimité en mer pour lequel un ou plusieurs objectifs de protection à long terme ont été définis concernant des espèces, des habitats ou un écosystème1. Dans la pratique, cette définition s’applique à un large panel de dispositifs juridiques. A l’échelle transnationale, les sites de la Convention de RAMSAR relatifs aux zones humides d’importance internationale ainsi que les réserves de biosphère possédant une partie en mer sont considérés comme AMP. Les sanctuaires pour mammifères marins (par exemple Pelagos en Méditerranée occidentale et Agoa dans les Antilles) sont, quant à eux, des zones exclusivement maritimes. En parallèle, certains sites Natura 2000 relatifs à deux Directives européennes (Oiseaux et Habitats-Faune-Flore) représentent une bonne partie des AMP en France métropolitaine lorsqu’ils dépassent le stade de simple site d’intérêt pour la faune et les habitats marins. Au niveau national, ce sont les parcs naturels marins (Iroise, Golfe du Lion, Mayotte, etc.), certains parcs nationaux (Port-Cros, Calanques, Guadeloupe, etc.), les réserves naturelles (Bouches de Bonifacio), les parcs naturels (Mer de Corail) et les sites du Conservatoire du Littoral qui sont concernés. Réglementaires ou non, spécifiques ou pas, côtières ou au large, petites ou grandes, toutes ces AMP sont complémentaires et ont pour but commun la protection de la biodiversité marine.

Ce qui différencie principalement tous ces dispositifs de protection, ce sont les niveaux de restriction qui y sont imposés. Certains ne représentent qu’un label pour mettre en évidence un site exceptionnel, tandis que d’autres nécessitent de réels moyens actifs de conservation. L’instauration d’une AMP n’exclue pas systématiquement toute exploitation de ressources ou usages récréatifs dans ses limites. Au contraire, l’objectif tend plutôt vers un développement maîtrisé et raisonné de l’ensemble des activités qui y sont présentes en accord avec le milieu marin. Deux grands types d’AMP peuvent donc être considérés : les aires à protection forte, où toute activité est prohibée sauf expériences scientifiques, et les aires partiellement protégées, où certaines activités sont autorisées et soumises à plus ou moins de régulations. Il faut cependant garder à l’esprit que, dans la réalité, une même AMP peut être sectorisée en plusieurs zones ayant chacune leur propre niveau de protection.

Carte des aires marines protégées de France métropolitaine éditée en 2017. Source : Office Français de la Biodiversité.

En 2015, plus de 11 300 AMP étaient recensées à travers le monde. Cela peut paraître important, mais elles ne représentaient que 3,7% de la surface des océans et uniquement 1,4% en ne considérant que les aires de protection forte. Néanmoins, il s’agit d’un progrès considérable comparé aux 0,2% d’AMP fortes observées une décennie plus tôt. Cette tendance à la hausse est toujours d’actualité en raison de la reconnaissance de l’efficacité des AMP et des obligations des gouvernements à protéger une partie de leur territoire maritime. Bien que quelques aires nouvellement établies soient de taille conséquente ou à protection forte, la plupart sont néanmoins de petite taille et modérément voire peu protégées. Prenons pour exemple le bassin méditerranéen, qui fait face à bon nombre d’enjeux au regard des AMP. Il supporte une forte densité de population et un tiers du tourisme mondial tout en jouissant d’une richesse de trésors écologiques, historiques et culturels menacés par une longue exploitation humaine qui se poursuit. De 2000 à 2015, la surface d’AMP a été multipliée par dix en Méditerranée pour atteindre 6,8%, notamment en raison des obligations vis-à-vis de la Convention de Barcelone. Ces aires marines protégées incluent par ailleurs 40% des herbiers de posidonie2 et 33% des récifs de coralligène3, deux habitats sensibles de Méditerranée. Cependant, leur taille moyenne reste très faible (5 km² en moyenne) et les AMP à protection forte ne recouvrent que 0,04% de la surface de notre Méditerranée.

Recouvrement de l’océan mondial en AMP au cours du temps. 1) Premier congrès sur les réserves marines de l’Association Américaine pour l’Avancement de la Science ; 2) Groupe de travail sur les réserves marines du Centre National pour la Synthèse et l’Analyse Ecologique des Etats-Unis ; 3) Sommet mondial des Nations Unies sur le développement durable ; 4) 5ème congrès mondial sur les parcs de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature ; 5) Convention des Nations Unies sur la Diversité Biologique ; 6) Objectifs d’Aichi ; 7) Objectif 14 Life Below Water de développement durable des Nations Unies. Source : Lubchenco & Grorud-Colvert, 2015.

Plus de vie, plus de diversité…

Un des objectifs principaux des aires marines protégées est bien évidemment de protéger l’abondance et la diversité des organismes marins. Au sein des aires de protection forte bien dimensionnées et où les règles sont correctement appliquées, ce but est atteint dans quasiment tous les cas. En effet, la biomasse4 (+ 446%), la densité (+ 166%), la taille (+ 28%) et la diversité (+ 21%) des poissons, des invertébrés et des algues sont bien plus importantes dans les limites de ces AMP par rapport aux zones adjacentes dépourvues de protection. La faune et la flore y grandit plus rapidement et engendre donc une descendance plus importante, permettant de restaurer d’autant plus vite des populations qui ont été mises à mal. Bien que les AMP partiellement protégées aboutissent également à des effets bénéfiques pour la faune et la flore marine, les résultats y sont tout de même moins importants en règle générale. Cette profusion de vie, au-delà de son intérêt écologique, engendre des retombées économiques à travers les activités touristiques et notamment la plongée sous-marine lorsqu’elle y est autorisée. A titre d’exemple, le Parc National de Port-Cros accueille de nombreux plongeurs chaque été en raison de sa faune exceptionnelle.

Depuis la création du Parc National de Port-Cros, les mérous bruns Epinephelus marginatus y sont très présents avec de nombreux individus de grande taille. Le site de la Gabinière est notamment réputé pour ses mérous bruns peu farouches. Photo : Arnaud Abadie.

De façon étonnante, il est également possible d’observer un déclin dans l’abondance d’autres espèces après la mise en place d’une protection. Mais rassurez-vous, cela est en réalité un autre point positif : les AMP permettent la restauration des interactions entre espèces. Cela s’explique généralement par la diminution de la pression de pêche sur les prédateurs de l’écosystème. Leur retour en force induit fatalement une prédation plus importante sur leurs proies, qui verront alors leur population se réduire. Par exemple, dans l’AMP à protection forte de Torre Guaceto en Italie, les dorades anciennement pêchées y sont devenues deux à dix fois plus abondantes. Après une décennie, toutes ces daurades se sont nourries de plus en plus d’oursins, réduisant par dix leur densité. Avec moins d’oursins herbivores, l’abondance des algues a fini par tripler, ces dernières servant d’habitat et de nurserie pour un très grand nombre d’autres espèces. L’équilibre naturel de l’écosystème a ainsi pu être rétabli.

et bien au-delà des limites imposées !

Il paraît évident que les bénéfices d’une aire marine protégée soient observés à l’intérieur de ses limites. Mais détrompez-vous, les résultats d’une protection efficace peuvent rayonner bien au-delà de ses limites administratives. Au fur et à mesure que les organismes grandissent et deviennent de plus en plus nombreux, la réduction en disponibilité de l’espace et des ressources alimentaires pousse une partie des adultes et juvéniles à migrer en dehors de l’AMP. Ce processus est appelé « débordement » ou spillover. Le débordement a des retombées importantes aussi bien écologiques qu’économiques. En effet, il permet de repeupler des zones plus ou moins éloignées de l’aire protégée où la pêche est toujours autorisée. Il est d’ailleurs courant d’observer des pêcheurs pratiquer leur activité aux alentours d’une AMP. Les pêcheries locales bénéficient ainsi d’un plus grand nombre de captures et de prises à plus forte valeur en raison de la taille plus importante des poissons.

En parallèle, un grand nombre d’organismes marins se reproduisent par fécondation externe, c’est-à-dire en émettant leurs gamètes5 dans l’eau qui seront alors emportées par les courants. Après fécondation, les œufs vont éclore en de petites larves qui continueront à dériver plus ou moins longtemps avant de s’installer dans un habitat pour se métamorphoser en juvénile. Ces stades précoces (gamètes, œufs et larves) peuvent séjourner au large de quelques jours à plusieurs mois et parcourir de très longues distances au cours de ce processus de dispersion6. La très bonne reproduction des organismes au sein d’une AMP à protection forte engendre une production importante de gamètes et de larves, ces derniers étant exportés bien au-delà des limites de la protection. Une fois de plus, ce phénomène contribue à repeupler des populations distantes, jusqu’à une centaine de kilomètres de l’AMP.

Les alevins7 de poissons (gauche), les larves zoé de crustacés (centre) et les larves echinopluteus des étoiles de mer et oursins (droite) sont des exemples parmi tant d’autres des stades précoces pouvant être exportés hors d’une AMP et repeupler des populations distantes. Photos : Uwe Kils, Hans Hillewaert et Bruno C. Vellutini.

Aider à faire face aux défis régionaux et globaux

Les aires marines protégées sont également en mesure d’adresser certaines problématiques à l’échelle régionale en plus des bénéfices locaux qu’elles apportent déjà au tourisme et à la pêche. L’exemple parfait pouvant illustrer cette capacité est le sanctuaire Pelagos pour la conservation des mammifères marins en Méditerranée. Cet espace maritime de pas moins de 87 500 km² est le fruit d’un effort transfrontalier entre la France, l’Italie et Monaco afin de protéger les espèces très mobiles comme le rorqual commun (Balaenoptera physalus), le grand cachalot (Physeter macrocephalus), la baleine à bec de Cuvier (Ziphius cavirostris), le globicéphale noir (Globicephala melas) ou encore le dauphin de Risso (Grampus griseus). Cette initiative permet, entre autres, d’éveiller l’attention des usagers de la mer et de promouvoir des études pour la conservation des mammifères marins, notamment les problématiques du trafic maritime, des collisions avec les navires et de la pollution sonore.

La baleine à bec de Cuvier Ziphius cavirostris est particulièrement sensible aux pollutions sonores engendrées par le trafic maritime, les prospections pétrolières et les sonars militaires. Cette espèce ne se rencontre que très occasionnellement. Photo : NOAA.

Enfin, les AMP ne sont pas en reste face aux défis de très grande envergure. La Méditerranée est aujourd’hui confrontée à de multiples menaces globales comme le changement climatique, les vagues de chaleur, les invasions d’espèces lessepsiennes8 et la pollution plastique pour ne citer qu’eux. Les aires protégées ne sont pas en mesure de contrer ces menaces à elles seules, mais peuvent aider à en réduire les conséquences néfastes pour la biodiversité marine. En effet, les populations et les écosystèmes en bonne santé dans les AMP à protection forte sont en mesure de mieux résister aux perturbations associées aux changements globaux. Il est même parfois possible d’y observer des espèces mieux adaptées au changement climatique en raison de la plus forte biodiversité. Mais le rôle des AMP dans la résilience face aux changements globaux est encore peu compris et plus d’études sont nécessaires, bien que les premières recherches soient prometteuses.

La rascasse volante Pterois volitans est un exemple parfait d’espèce lessepsienne. Son apparition et sa prolifération en Méditerranée perturbe localement certains écosystèmes de par sa forte prédation sur de nombreuses espèces ainsi qu’en raison de l’absence de prédateurs pour la rascasse. Photo : Arnaud Abadie.

AMP à la carte : de nombreux facteurs pour les dessiner

En raison de la multiplicité des usages et intérêts en mer, une AMP doit être bien pensée en amont pour décider du meilleur compromis entre sa taille, les habitats et espèces qu’elle protège, les bénéfices qu’elle va rapporter et les restrictions des usages. La prise en considération des intérêts écologiques, sociaux, culturels et économiques permet donc à l’aire protégée d’apporter de multiples bénéfices sur tous les fronts et d’être acceptée par un maximum d’acteurs car, dans la réalité, très peu d’AMP font consensus auprès de tous.

La taille et le niveau de protection sont les deux principales caractéristiques d’une aire marine protégée. Sa taille est importante puisque chaque espèce possède un domaine vital9 plus ou moins étendu. Une petite AMP sera effective pour des espèces se déplaçant très peu, mais celles nécessitant un plus grand espace vital ne seront pas efficacement protégées. Des études ont montré que de grandes aires de protection forte profitent à un plus grand nombre d’espèces et restaurent plus d’interactions entre organismes. Cependant, si l’objectif est de protéger des animaux se déplaçant moins, un réseau bien construit de petites ou moyennes AMP aura les mêmes effets qu’une unique grande aire protégée de surface totale plus importante, d’autant plus qu’il est très compliqué de faire appliquer des mesures de gestion sur un grand espace en mer.

Un réseau consiste en une multitude d’AMP connectées entre elles par la migration des organismes. Individuellement, chaque AMP possède sa propre capacité à fournir des bénéfices économiques, sociaux et bien évidemment écologiques. Collectivement, le réseau montre des résultats bien plus important qu’en additionnant les bénéfices individuels de chaque aire marine protégée. En 2008, le gouvernement grec a travaillé avec des scientifiques sur l’établissement d’un tel réseau dans l’archipel des Cyclades. Ce sont d’ailleurs les pêcheurs qui ont aidé à l’identification des zones de priorité maximale pour la conservation. Cette collaboration était basée sur les quatre grands principes établis pour bénéficier d’un réseau d’AMP performant. Ils sont regroupés sous l’acronyme CARE.

  • Connecté : le réseau fournit aux organismes de multiples refuges au sein de ce système si les individus quittent la protection d’une unique AMP pour rejoindre une autre. Par exemple, les larves produites dans une aire s’en vont de cette dernière au gré des courants, trouvent leur habitat adéquat au sein d’une autre AMP pour se métamorphoser en juvénile et croître, jusqu’à ce que les juvéniles retournent dans l’aire protégée initiale propice aux adultes ;
  • Adéquat : le réseau possède assez de chaque habitat clef pour assurer la persistance des espèces cibles au fil du temps. Cela dépend des caractéristiques écologiques de chaque espèce ;
  • Représentatif : l’objectif d’un réseau est de protéger l’intégralité des habitats et de la biodiversité de la région. Les AMP bénéfiques à la protection de quelques espèces seront certainement inadéquates pour d’autres organismes nécessitant des habitats différents ou faisant face à d’autres menaces ;
  • Efficace : il s’agit de minimiser le coût envers les usagers de la mer. De petits ajustements dans un plan de gestion permettent souvent d’atteindre des objectifs de conservation similaires tout en préservant les activités économiques telles que la pêche, la plongée ou le transport maritime.
Dans l’archipel des Cyclades en Grèce, les scientifiques et pêcheurs ont travaillé de concert pour proposer un réseau d’AMP en identifiant les zones de conservation prioritaires en prenant en compte à la fois la biodiversité marine et les intérêts des pêcheries. Source : Giakoumi et al. (2011).

Sur l’exemple des Cyclades, l’établissement d’une AMP doit aussi inclure la collaboration de l’ensemble des parties prenantes ayant divers contextes en mer sur l’utilisation des ressources, la politique, l’économie, la conservation, l’usage récréatif et les sciences naturelles, culturelles et sociales. Idéalement, le savoir traditionnel des professionnels de la mer devrait être systématiquement pris en compte avec les données et connaissances des scientifiques sur les habitats, la diversité des espèces, les usages et les menaces. Cette coopération permet des décisions claires et compréhensibles pour chacun sur la gestion de l’AMP. L’implication des parties prenantes dans la gestion de l’aire protégée est d’ailleurs déterminante pour son succès. En 1983, des politiques, scientifiques, pêcheurs et gestionnaires ont décidé tous ensemble de fonder le Parc Marin de la Côte Bleue dans les Bouches-du-Rhône. Les pêcheurs artisanaux participent encore à la gouvernance du parc ce qui engendre un très grand respect des réglementations. L’AMP fournit des bénéfices à la fois à l’écosystème et aux usagers tandis que des liens extrêmement positifs se sont tissés entre parties prenantes. Un fabuleux exemple de coopération.

Le secret de la réussite ? Laisser le temps opérer

Bien que certains changements suite à l’instauration d’une aire de protection peuvent être observés rapidement, plusieurs années voire décennies sont nécessaires pour que l’intégralité des objectifs attendus soient atteints. En effet, les AMP les plus anciennes sont celles apportant les plus grands bénéfices. Cela s’explique par le fait que les organismes marins n’ont pas les mêmes taux de croissance et n’atteignent pas leur maturité sexuelle au même âge. Tandis qu’il faut 6 mois au poulpe commun (Octopus vulgaris) pour être sexuellement mâture, 2 à 4 ans sont nécessaires pour le denti (Dentex dentex) et jusqu’à 15 années pour le corail rouge de Méditerranée (Corallium rubrum). Ces traits définissent le temps de réponse de chaque espèce à l’instauration d’une AMP. Les espèces grandissant et se reproduisant rapidement peuvent voir leur abondance croître en seulement quelques années, tandis que les espèces à maturité tardive et croissance lente auront peut-être besoin de plusieurs décennies avant de restaurer leur population. D’autres critères tels que le niveau de protection de l’AMP, la fertilité des organismes, la disponibilité en habitats favorables, le niveau d’impact avant la mise en place de la protection et la capacité des espèces à récupérer suite à une perturbation influencent également le temps nécessaire pour observer des bénéfices écologiques significatifs. Dans tous les cas, une protection continue dans le temps est cruciale pour permettre une restauration optimale des espèces et des habitats d’un écosystème.

Bien que présents dans le même écosystème, la seiche Sepia officinalis atteindra sa maturité sexuelle à 6 mois contre 15 années pour la gorgone blanche Eunicella singularis. Restaurer la population de seiches à l’aide d’une AMP prendra donc bien moins de temps en raison de son cycle de vie plus rapide comparé à la gorgone blanche. Photo : Géry Parent.

Accompagner plutôt que de limiter les usages

Toujours est-il que restreindre les usages de certains espaces en mer sur la durée n’est pas forcément au goût de tout le monde. Établir une aire marine protégée à protection totale réduit l’espace disponible pour la pêche par exemple, ce qui peut affecter les revenus de cette activité et augmenter la pression de pêche dans d’autres zones où l’activité est toujours autorisée. Les pêcheurs pourraient avoir à se déplacer plus loin et donc à dépenser plus pour atteindre des zones riches en poissons. La planification et la gestion de ces coûts immédiats sont donc cruciales pour jouir du soutien des usagers de la mer et gagner le respect de tous. Différentes stratégies existent déjà pour amortir ces frais : investissements publics ou privés pour pallier aux coûts initiaux, développement du pescatourisme10, mise en place d’écolabels ou encore allocations de droits exclusifs pour les pêcheurs locaux. Dans la très grande majorité des cas, ces coûts immédiats sont néanmoins bien inférieurs aux bénéfices à long terme des AMP fructueuses. Lorsque ces bénéfices s’accroissent avec le temps, ils peuvent même être utilisés pour contrebalancer les coûts de la transition en une aire protégée. La protection d’individus de grande taille qui se reproduisent efficacement et se déplacent hors de l’AMP bénéficie grandement aux pêcheries sur le moyen et long terme tandis que la conservation d’habitats riches en biodiversité attire touristes et plongeurs. A titre d’exemple, l’AMP des îles Mèdes en Espagne génère 10 millions d’euros par an de pêche et d’activités touristiques vingt ans après sa création. Du côté de l’Italie, l’aire de Tavolara-Punta Coda Cavallo attire plus de 10 000 plongeurs chaque année et génère 15 millions d’euros de revenus locaux annuels.

Informer le public de la réglementation en vigueur et de l’importance des écosystèmes marins est une tâche primordiale qui participe à l’acceptation des mesures de gestion. Il s’agit ici d’un panneau informatif sur le récif-barrière de posidonie de la Roya à Saint-Florent dans le Parc naturel marin du Cap Corse et de l’Agriate. Photo : Arnaud Abadie.

En France, la plupart des AMP autorisent de nombreux usages en plus de la pêche, comme la plaisance, l’utilisation de jet-skis, la plongée sous-marine, les croisières etc. Concilier l’ensemble de ces activités entre elles et avec les objectifs de conservation représente un véritable challenge pour les gestionnaires. Il existe un réel manque d’information quant à la gestion de ces conflits, ce qui complique leur évaluation et la mise en œuvre de solutions adéquates. Cependant, la pérennité de la plupart de ces activités dépend directement ou indirectement de la qualité du milieu marin. De nombreuses pratiques sont déjà mises en œuvre comme la définition de routes de navigation strictes, une limitation de la vitesse de croisière, l’installation de mouillages écologiques, l’interdiction de nuitées en mer ou le respect d’un nombre restreint d’usagers de l’espace maritime. Certaines AMP travaillent également à l’élaboration d’un tourisme alternatif respectueux de l’environnement mettant en valeur la spécificité des milieux, des patrimoines et des cultures. Toujours est-il qu’une attention accrue doit être accordée à la gouvernance du tourisme dans les AMP méditerranéennes. Déterminer, évaluer et surveiller les pressions du tourisme dans l’espace et dans le temps constituent une étape fondamentale dans la recherche de solutions durables. Certaines AMP ont d’ailleurs entrepris des études sur ces questions, ce qui leur a fourni une base scientifique pour concevoir et mettre en œuvre des plans de gestion appropriés.

Allouer des droits d’exercer leur profession aux pêcheurs artisanaux est un moyen prometteur de soutenir la viabilité des pêcheries locales en accord avec une AMP. Photo : Jeanne Menjoulet.

Le mot de la fin

Nul ne peut désormais douter de l’efficacité écologique, économique et sociale des aires marines protégées. Elles contribuent à préserver et restaurer la santé des océans en cherchant le meilleur compromis avec les autres usagers de la mer. De plus en plus d’AMP sont instaurées et cette tendance est fondamentalement une très bonne nouvelle, mais nombre d’entre elles n’ont pas un niveau de protection suffisant ou possèdent les moyens humains et financiers en accord avec leurs objectifs de conservation.

Les Blue Leaders, une alliance de plus de 20 États qui travaillent activement à la création d’un réseau significatif de zones marines protégées et dont la France fait partie, se sont fixés comme objectif de protéger 30% de l’océan mondial d’ici à 2030 (objectif 30 by 30). La route est encore longue et rien n’oblige ces 30% à correspondre à une protection forte : certains gouvernements seraient donc tentés d’établir de nouvelles AMP peu protégées pour simplement remplir cet objectif et faire bonne figure. Nous avons cependant les moyens d’y arriver en augmentant la taille des aires marine protégées existantes si cela est faisable, en renforçant la protection et en fournissant plus de moyens aux aires partiellement protégées ou encore en gardant à l’esprit que les bénéfices à long terme seront toujours supérieurs aux coûts initiaux de la fondation d’une AMP. Les Blue Leaders travaillent également à l’élaboration d’un dispositif juridique permettant l’établissement d’AMP en haute mer, cet écosystème ne bénéficiant encore d’aucune protection juridique à l’heure actuelle. Affaire à suivre.

Glossaire

1Ecosystème : système formé par les caractéristiques physiques d’un environnement (biotope) et par l’ensemble des espèces (biocénose) qui y vivent, s’y nourrissent et s’y reproduisent.

2Herbier de posidonie : la posidonie Posidonia oceanica est une plante à fleur marine endémique de la Méditerranée qui forme de vastes herbiers aux multiples rôles écologiques cruciaux. Cette espèce est actuellement en déclin.

3Coralligène : écosystème sous-marin très riche en biodiversité et caractérisé par des algues calcaires construisant un récif par encroûtement et accumulation de dépôts. Beaucoup le compare aux récifs coralliens tropicaux.

4Biomasse : masse totale d’organismes vivants dans un lieu déterminé à un moment donné.

5Gamète : cellule reproductrice participant à la reproduction sexuée et vouée à rencontrer un autre gamète au cours de la fécondation.

6Dispersion : ensemble des processus par lesquels les organismes colonisent un nouveau territoire.

7Alevin : jeune poisson vivant encore sur ses réserves vitellines.

8Espèce lessepsienne : une espèce immigrée depuis la Mer Rouge vers la mer Méditerranée par le canal de Suez.

9Domaine vital : zone spatiale regroupant l’ensemble des habitats régulièrement utilisé par un individu dans ses activités de repos, de reproduction et de recherche de nourriture.

10Pescatourisme : activité touristique qui consiste à découvrir le milieu marin et les pratiques professionnelles de la pêche ou de l’aquaculture à bord d’un bateau de pêche ou d’un navire aquacole.

Pour en savoir (beaucoup) plus

UICN France. 2013. Les espaces naturels protégées en France : une pluralité d’outils au service de la conservation de la biodiversité. Paris, 44 pages. https://uicn.fr/wp-content/uploads/2014/07/Espaces_naturels_proteges-OK.pdf

Portail des aires marines protégées françaises : https://www.amp.milieumarinfrance.fr/accueil_fr

MedPAN et SPA/RAC. 2019. Le statut 2016 des aires marines protégées de Méditerranée. By Meola B. Et Webster C. Ed SPA/RAC & MedPAN. Tunis, 222 pages. https://drive.google.com/file/d/1juPbOAkzT8oZuaElZPVjMx3HHjmxiKnJ/view

Claudet J., Loiseau C., Sostres M. & Zupan M. 2020. Underprotected Marine Protected Areas in a Global Biodiversity Hotspot. One Earth 2: 380-384. (doi: 10.1016/j.oneear.2020.03.008). https://www.cell.com/action/showPdf?pii=S2590-3322%2820%2930150-0

González D., A., Campanales, S., Grimalt, M. (2020). Managing the environmental sustainability of nautical tourism in Mediterranean MPAs. Capboating Project. Edited by eco-union. 24 pages. http://www.ecounion.eu/wp-content/uploads/2020/07/Boading-Guidelines_3_7_20.pdf

L’auteur

Thibaut Roost est originaire d’Alsace, autant dire qu’il a commencé sa vie loin de l’écume et des embruns. Mais à 11 ans, il a enfilé une combinaison, un masque et des palmes pour débuter la plongée en gravière. L’appel de l’océan n’a donc pas tardé à se faire entendre par la suite. Aujourd’hui, il est diplômé d’un Master en Gestion de l’Environnement et Ecologie Littorale de l’Université de La Rochelle et est plongeur professionnel. Il a à cœur d’allier sa curiosité pour l’écologie et sa passion pour la mer dans son futur travail car il souhaite mener des recherches pour la conservation et la restauration des écosystèmes marins.

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