Les récifs coralligènes

Un aperçu du fonctionnement et de la richesse de l’écosystème du coralligène en Méditerranée.

Les récifs coralliens de la Méditerranée

Dans l’imaginaire collectif, les paysages sous-marins les plus colorés sont les récifs coralliens tropicaux. C’est en effet vrai. Mais ce n’est pas du tout le seul écosystème océanique chamarré. La Méditerranée dispose effectivement de solides arguments pour prétendre au podium.

Pourtant Mare Nostrum est surtout reconnue pour ses eaux au bleue si caractéristiques. Cependant, sous la surface, entre 20 et 120 m de profondeur, se cachent d’immenses récifs vivants bigarrés bourrés d’une biodiversité marine explosive : le coralligène. Comment de telles écosystèmes peuvent-ils se développer dans les profondeurs de la Méditerranée ?

Des algues corallinacées couvrent les roches profondes de la baie de La Ciotat. Quelques gorgones jaunes (Eunicella cavolini) et une étoile de mer lisse (Hacelia attenuata) viennent compléter le panorama du coralligène.

Tout commence par un morceau de roche

Tout commence avec un substrat dur naturel. Un gros caillou sur le sol marin. Un tombant rocheux vertical. Sur ces supports bien solides se développent des algues calcaires. Des algues rouges, dites corallinacées, qui font office de ciment pour stabiliser le substrat et résister ainsi aux aléas environnementaux comme les variations de courants. Cette végétation carmin tire ses forces de la photosynthèse pour s’étendre toujours plus.

Au fil des années les couches d’algues s’entassent sur la roche. La végétation vivante prospère sur les restes calcaires de leurs ancêtres. Arrivent alors toute une faune de constructeurs pour consolider le concrétionnement. Des bryozoaires, des éponges, des coraux, des gorgones, des crustacés, des serpulidés (vers à tube).

Un tombant couvert de corail rouge (Corallium rubrum).

Lentement, après des dizaines d’années de bioconstruction, au rythme d’un millimètre par an, c’est tout un habitat florissant qui s’épanouit sous les flots méditerranéens. De grandes gorgones rouges, jaunes ou oranges s’érigent verticalement et se ramifient sans complexe. Le corail rouge avec sa croissance lente voit son squelette calcaire fleurir de polypes blancs. Des éponges jaunes effilées comme les axinelles se dressent vers la surface.

Ces immenses villes vivantes exhibent une formidable complexité dans les trois dimensions. Le support calcaire grouille de cavités multiples. Toutes les conditions sont réunies pour accueillir une faune mobile luxuriante. Les bases de l’un des écosystèmes méditerranéens les plus riches en biodiversité sont ainsi posées.

Un panorama classique du coralligène avec de nombreuses gorgones rouges (Paramuricea clavata).

Une véritable ville sous-marine

Les récifs coralligènes sont de vraies villes sous-marines. Non pas de minuscules hameaux avec une faible population. Il s’agit ici de pures mégalopoles de la biodiversité. Des hotspots de vie marine qui ne cèdent la première place en Méditerranée qu’aux prairies de posidonie.

Toutes les formes de vie marine s’y donnent rendez-vous. Parmi elles se trouvent des espèces caractéristiques comme les algues, les éponges, les cnidaires (coraux, gorgones) et les bryozoaires qui bâtissent la mégalopole.

Les étages de la vie du coralligène

Cependant, les buildings bioformés avec patience ne connaissent pas la vacance. Les anfractuosités de la structure complexe du récif accueillent des crustacés comme la langouste rouge (Palinurus elephas) ou le homard (Homarus gammarus). Certains mollusques viennent forer les murs de le la ville aquatique comme la date de mer (Lithophaga lithophaga). D’autres comme les petits gastéropodes préfèrent se déplacer en surface, dans les chemins sinueux serpentant entre les gorgones et les éponges.

A la surface des grattes-surface que constituent les gorgones, vit toute une foule de nantis avec vue sur le bleu profond de la Méditerranée. Des limaces de mer entament l’ascension de ces corps calcaires tortueux pour y pondre. Au sommet des cnidaires labyrinthiques se dresse fièrement le saigneur des échinodermes à l’apparence de monstre mythologique : le gorgonocéphale (Astrospartus mediterraneus).

Poissons et services écosystémiques

Des habitants moins sédentaires viennent visiter la florissante cité du coralligène. Les nuages de poissons carmins constitués de centaines d’anthias (Anthias anthias) frétillent allègrement dans le ciel liquide de la ville. Des murènes (Muraena helena) serpentent nonchalamment à la recherche de nourriture, loin de leur abri rocheux et de leurs crevettes nettoyantes. Parfois, quelques mérous brun (Epinephelus marginatus) s’approchent des constructions en quête de leur pitance. Et puis il y a la grande roussette (Scyliorhinus stellaris), ce petit requin qui utilise les biostructures érigées pour déposer ses œufs à la vue de tous.

Ce sont ainsi plus de 1 600 espèces qui s’ébattent dans et autour des récifs coralligènes. Cette profusion vivante rend des services écosystémiques nombreux comme habitat, nurserie et approvisionnement de nourriture. Même nous, les humains, pauvres créatures terrestres, bénéficions des services de ces cités sous-marines car elle piègent le CO2. Elles sont également importantes d’un point de vu économique pour la pêche et le tourisme (plongée).

Quand l’être humain s’en mêle

Les fabuleux récifs coralligènes constituent de merveilleux havres de biodiversité dans les fonds méditerranéens. Cependant, malgré cette richesse biologique et la foultitude de services écosystémiques fournis par la vie fixée et mobile, l’écosystème coralligène est fortement mis à mal. Ainsi, lors de la dernière évaluation de l’état écologique du coralligène en 2024, 56,1 % de la surface de coralligène surveillée est en mauvais état d’un point de vu dynamique. Le responsable direct ou indirect de l’immense majorité des turpitudes des récifs et de ses habitants est sans surprise l’être humain et son cortège d’activités maritimes et terrestres.

Destructions directes

Il y a tout d’abord les destructions directes de l’habitat coralligène. L’ancrage fait partie des activités impactant fortement les récifs méditerranéen. Les ancres détruisent tout particulièrement les espèces dressées tout en raclant les strates calcaires fixées sur la roche. Ce sont ainsi des décennies de croissance biologique qui sont détruites en quelques secondes.

Les diverses formes de pêche, qu’elles soient professionnelles ou de loisir, sont également à l’origine de la régression de l’habitat coralligène et de la fragilisation de l’écosystème entier. Les filets, s’accrochant au relief marin, arrachent les gorgones et les axinelles lors de leur remontée. La pêche à la ligne réduit les populations de poissons et les lignes abandonnées constituent des déchets qui s’accumulent sur les récifs.

Un filet de pêche abandonnée recouvre le coralligène au large de la presqu’île de Giens.

Parmi les destructions directes se trouve aussi la plongée loisir. La surfréquentation de certains sites de plongée peut entraîner le décrochage d’espèces fixées via les coups de palmes et l’accrochage au substrat. Les bulles rejetées sont également une source de fragilisation pour certaines espèces dressées. Le comportement des poissons est également modifié et varie selon l’espèce.

L’impact des canicules marines

Enfin, l’impact des activités humaines et parfois plus pernicieux. Le réchauffement de la Méditerranée, du fait de l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, met en péril le coralligène. Ainsi, les épisodes de canicules marines des dernières décennies entraînent d’importantes mortalités des espèces fixées. Ces dernières ont besoin d’eaux relativement froides pour se maintenir en vie.

Par exemple, en 2022, 69 % des colonies de gorgones et 49 % du corail rouge meurt dans les calanques marseillaises. Ce constat varie en fonction de la profondeur et de la localisation avec jusqu’à 90 % de mortalité des gorgones sur certains sites. Depuis 1999 il s’agit du septième épisode de mortalité lié à une canicule marine. Les populations arrivent à se rétablir mais sortent fragilisées et diminuées de ces phénomènes. La répétition trop fréquente de ces derniers peut mettre en péril la survie de l’écosystème coralligène.

Une gorgone rouge dont plusieurs parties de la colonie sont nécrosées.

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