Les nouvelles scientifiques des profondeurs – N°1

Sea(e)scape vous propose une sélection de publications scientifiques dans divers domaines des sciences marines. Un requin qui consomme des plantes. L’impact du changement climatique sur les écosystèmes marins en Chine. Les abysses comme haut lieu de l’évolution de la morphologie des poissons. Les effets sur l’environnement marin de la baisse du trafic maritime durant la pandémie du COVID 19. Les plantes marines impactées par les bruits d’origine anthropique. Le dernier rapport du GIEC. C’est ce qui vous attend dans cette première édition !

Les requins aussi font attention à leur ligne

Dans l’imaginaire collectif les requins sont des prédateurs carnivores strictes au sommet de la chaîne alimentaire. Il est désormais bien connus du plus grand nombre que plusieurs espèces de requins se nourrissent de plancton comme les géants paisibles que sont le requin pèlerin (Cetorhinus maximus) et le requin baleine (Rhincodon typus). Les requins marteaux quant à eux sont le plus souvent assimilés à des prédateurs piscivores exclusifs.

Cette perception a cependant volé en éclat en 2018 du fait des travaux de recherche de Samantha C. Leigh et de ses collaborateurs. Si le requins marteau tiburo (Sphyrna tiburo) avait déjà été observé consommant des plantes marines, les processus en jeu dans la digestion des magnoliophytes1 restaient inconnus. Afin d’en savoir plus sur ce phénomène, les chercheurs ont nourris des requins marteau tiburo élevés en captivité avec des plantes marines (90 % du régime alimentaire) marquées au carbone 13. Cet isotope du carbone permet notamment d’étudier le taux d’assimilation du produit consommé.

Le squale au régime alimentaire si particulier : le requin marteau tiburo (Sphyrna tiburo). Photo : D. Ross Robertson.

Résultat : ce requin est capable d’assimiler avec une efficacité modérée les plantes marines comparable à celle des jeunes tortues vertes (Chelonia mydas) dont les plantes marines constituent l’essentiel de leur régime alimentaire. Sphyrna tiburo est donc le premier requin décrit comme étant omnivore. Comme l’être humain !

Dans une étude récente, la même équipe de recherche a identifié le microbiote permettant la digestion des fibres des plantes marines (normalement très difficiles à fragmenter) en produisant une enzyme spécifique. Ces micro organismes permettent également de fragmenter la coquille des crustacés. Cette découverte vient confirmer la nature omnivore du régime de Sphyrna tiburo qui ne consomme donc pas des plantes marines par simple opportunisme ou manque de proies.

Référence : Leigh, S. C., Papastamatiou, Y. P., & German, D. P. (2021). Gut microbial diversity and digestive function of an omnivorous shark. Marine Biology, 168(5), 1-16.

Lire l’article : https://german.bio.uci.edu/images/PDF/Leigh%20et%20al.%20(2021)%20Mar%20Biol_online.pdf

Les écosystèmes marins chinois à l’heure du changement climatique

Le bouleversement climatique global qui affect notre planète a de nombreux effets directs et indirects sur les écosystèmes terrestres et marins. Si la magnitude et la vitesse des changements aux niveau des écosystèmes marins varie d’une région du monde à l’autre, des effets sont dors et déjà visibles et quantifiables partout. La Chine n’échappe bien évidemment pas à ce constat et vient tout juste de délivrer les conclusions d’une étude à l’échelle du pays visant à évaluer l’impact du changement climatique sur les écosystèmes marins.

Les récifs coralliens figurent parmi les écosystèmes marin chinois menacés par le réchauffement climatique. Photo : Lian Jiansheng.

L’étude fait la synthèse des travaux menés en Chine afin d’identifier les phénomènes biologique déclenchés par le réchauffement de l’eau et ses conséquences sur la biogéochimie des océans. Ainsi Bin Kang et ses collaborateurs mettent en évidence que la totalité des écosystèmes marins de Chine est impactée par le réchauffement climatique. Ils prévoient notamment une intensification des phénomènes de marée rouges liées à la prolifération de microalgues dont certaines sont toxiques. L’acidification de l’océan, dû au pompage du carbone atmosphérique par les masses d’eau marines, augmente la mortalité des organismes calcificateurs comme les coraux. Enfin, les modifications de la distribution géographique de nombreuses espèces marines entraîne des changements profonds dans le fonctionnement d’écosystèmes clés comme ceux des récifs coralliens (avec des effets de blanchissement), des herbiers marins et des mangroves.

Si l’intérêt de la Chine concernant l’impact du changement climatique sur la geomorphologie de son littorale n’est pas récente, l’étude à grande échelle sur les écosystèmes marins l’est beaucoup plus. Ce type de recherche est notamment le premier pas menant à la mise en place de mesure pour la conservation du milieu marin.

Référence : Kang, B., Pecl, G. T., Lin, L., Sun, P., Zhang, P., Li, Y., Zaho, L., Peng, X., Yan, Y., Shen, C. & Niu, W. (2021). Climate change impacts on China’s marine ecosystems. Reviews in Fish Biology and Fisheries, 1-31.

Dans l’obscurité des abysses les poissons changent plus facilement de forme

L’environnement est l’un des facteurs conditionnant l’évolution des espèces. C’est également le cas dans le milieu marin. Comme en milieu terrestre les contraintes peuvent être physiques, comme par exemple une haute chaîne de montagne isolant géographiquement des populations d’organismes qui vont emprunter des chemins évolutifs qui leurs sont propres. Dans la colonne d’eau abyssale, où aucune lumière ne pénètre, les poissons montrent une diversité de formes surprenantes leur permettant d’être parfaitement adaptés à leur milieu.

La morphologie du grenadier fantomatique (Coryphaenoides leptolepis) est-elle due à sa vie dans les abysses ? Photo : NOAA.

Le chercheur américain Christopher Martinez et ses collaborateurs ont analysés la forme du corps de plus de 3 000 espèces de poissons abyssaux. La conclusion de l’étude est surprenante : les poissons profonds ont une diversité de morphologie deux plus importante que celle des espèces des couches supérieures de la colonne d’eau. Cette différence s’explique principalement par le taux élevé d’évolution concernant les traits en lien avec la locomotion. En effet, les espèces de poissons abyssales favorisent une locomotion lente leur permettant d’économiser leur énergie du fait de la rareté de la nourriture.

L’océan profond apparaît donc comme un hotspot de l’évolution des poissons. Cette étude apporte de nouveaux éléments créditant l’importance de la complexité des habitats marins et des interactions écologiques sur l’évolution des organismes vivants.

Référence : Martinez, C. M., Friedman, S. T., Corn, K. A., Larouche, O., Price, S. A., & Wainwright, P. C. (2021). The deep sea is a hot spot of fish body shape evolution. Ecology Letters.

Lire l’article : https://fishlab.ucdavis.edu/wp-content/uploads/sites/397/2021/06/Martinez-et-al-2021-Ecology-Letters.pdf

COVID19 et baisse du trafic maritime

La pandémie mondiale du COVID 19 a entraîné une baisse de l’ensemble des échanges à l’échelle de la planète. Ce ne sont pas seulement les transports aériens et routiers qui ont été impactés mais également les transports maritimes sur tous les océans du globes.

Chaque navire marchant ou de pêche est équipé d’un système de repérage satellite : l’AIS2. Il est ainsi possible de suivre en temps réel la position de ces navires en tout point du globe. Une équipe scientifique anglo-espagnole dirigée par David March a analysé ces données durant la période de confinement s’étendant de la première moitié de l’année 2020 afin de quantifier la diminution du trafic maritime dans les régions les plus fréquentées et d’en déduire – en plus des conséquences de la pandémie sur les différents secteurs économiques – l’impact de cette baisse sur la conservation des océans.

En moyenne le trafic maritime a diminué de 70 % dans la Zone Économique Exclusive3 avec quelques variations locales dépendant des mesures de confinement mises en place par chaque gouvernement. Cette réduction concerne notamment les navires de pêche, réduisant ainsi la quantité d’individus capturés durant la période étudiée. La diminution du trafic maritime lié au tourisme et au transport de marchandises a entraîné une diminution de la turbidité de l’eau et une réduction du bruit sous-marin dans certaines zones comme dans le port de Vancouver et à Venise. Le constat est le même au sein des aires marines protégées de Méditerranée qui bénéficient de cette baisse de fréquentation.

Moins de touristes = moins de navires de croisière avec des conséquences économiques et écologiques variées. Photo : Murgatroyd49.

Cette étude met ainsi en lumière la capacité des données satellite de la positon des navires pour obtenir une meilleure compréhension de l’impact du trafic maritime sur les écosystèmes marins. Les effets du confinement à plus long terme sont encore difficile à modéliser et il sera également important d’étudier l’impact de la reprise des activités maritimes et de leur impact sur le milieu marin.

Référence : March, D., Metcalfe, K., Tintoré, J., & Godley, B. J. (2021). Tracking the global reduction of marine traffic during the COVID-19 pandemic. Nature communications, 12(1), 1-12.

Lire l’article : https://www.nature.com/articles/s41467-021-22423-6

Une plante marine qui n’apprécie pas le bruit

La posidonie (Posidonia oceanica) est une plante marine endémique de Méditerranée et qui constitue le socle de l’écosystème le plus riche de la petite mer fermée. En formant de vastes prairies dans les eaux côtières entre 0 m et 40 m de profondeur, la posidonie est soumise aux impacts liés aux activités humaines telles que l’ancrage, le développement urbain, le chalutage et la pollution. La liste des impacts anthropiques sur la plante vient de s’allonger grâce à une étude de Marta Solé et de ses collaborateurs sur les effets des bruits d’origine humaine sur la morphologie de la posidonie.

Faudra-t-il protéger les prairies de posidonie du bruit de nos activités ? Photo : Arnaud Abadie.

Les essais ont été réalisés en laboratoire dans des aquariums. Des pousses de la plante marine méditerranéenne ont été exposées à divers fréquences sonores (entre 50 et 400 Hz) correspondant aux fréquences sous-marines des activités humaines. Avant et après exposition au bruit, les tissus des différentes parties de la posidonie sont inspectés en utilisant de la microscopie électronique en transmission. Ces images d’une résolution micrométrique permettent de détecter les changements cellulaires induits par l’exposition au bruit.

Les résultats sont sans appel. Une exposition de plusieurs jours à des sons de basses fréquences entraîne la détérioration des statocystes4 des rhizomes et des racines de la posidonie. La pollution sonore impacte également la capacité de la plante à utiliser les nutriments collectés dans le sol en affectant les grains d’amidons présents sur les rhizomes qui sont indispensable pour le stockage des éléments nutritifs. Le bruit des activités humaines est donc une source de détérioration de la posidonie et des prairies qu’elle forme sur l’ensemble du bassin Méditerranéen. Cette étude pose ainsi la question de l’augmentation du bruit sous-marin d’origine artificielle et de leur influence sur les espèces marines mobiles et sessiles.

Référence : Solé, M., Lenoir, M., Durfort, M., Fortuño, J. M., van der Schaar, M., De Vreese, S., & André, M. (2021). Seagrass Posidonia is impaired by human-generated noise. Communications Biology, 4(1), 1-11.

Lire l’article :https://www.nature.com/articles/s42003-021-02165-3

Le dernier rapport du GIEC : quid des océans ?

Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est paru en août 2021. Il s’agit du sixième rapport d’évaluation du groupement scientifique. Il s’intéresse au connaissances des processus physiques du système climatique et du changement climatique. L’un des points importants est que la responsabilité de l’être humain dans la hausse rapide des températures à la surface du globe, du fait des émissions de gaz à effet de serre (GES), n’est plus mise en doute. Les différents scénarios d’évolution de la température à la surface des zones terrestres d’ici 2100 prévoient une hausse comprise entre 1,4 °C dans une logique de forte réduction des émissions des GES, et 4,4 °C dans les scénarios où ces émissions augmentent. Ces données impactent directement les décisions gouvernementales dans les décennies à venir notamment en matière d’environnement, d’économie et de géopolitique. Mais qu’en est-il de l’océan qui constitue un haut lieu de séquestration du carbone atmosphérique à long terme ?

L’océan mondial se réchauffe depuis au moins 1971, cette évolution de la température étant la plus rapide depuis la dernière déglaciation il y a 19 000 ans. Cette hausse se poursuivra certainement au moins jusqu’en 2300 même dans le cas des scénarios les moins pessimistes. Ce réchauffement n’est pas homogène car la plupart des eaux chaudes sont stockées dans l’hémisphère sud. Le changement dans les régimes de vent de surface induiront certainement des variations des courants marins. Il est également certain que le pH de l’océan à globalement diminué depuis 40 ans. Cette diminution du pH mène à une acidification de l’océan, ce phénomène diminuant la quantité des carbonates de calcium qui constituent un élément important pour de nombreux organismes marins. Une autre des conséquences chimique de la hausse de la température de l’océan est l’augmentation des zones désoxygénées au cours des prochaines décennies.

Le scénario de hausse du niveau de l’océan modélisé dans l’atlas en ligne de l’IPCC.

Impossible de parler de l’évolution de l’océan sans parler de celle de la cryosphère5. Une hausse des températures à la surface du globe entraîne la fonte des zones du globe où l’eau est présente à l’état solide, comme les pôles, avec pour conséquence une hausse du niveau de l’océan. Les observations montrent que depuis 1971 la surface couverte par la glace de mer en Arctique à diminuée tandis que celle en Antarctique n’a subit aucune variation majeure. En revanche, le volume de la calotte glaciaire du continent gelé n’a cessé de diminué depuis 1971, contribuant ainsi à une hausse de 7,4 mm du niveau marin entre 1992 et 2020. Cette évolution devrait se poursuivre jusqu’à la fin du 21ème siècle.

Le niveau des océans a augmenté de 0,2 m entre 1901 et 2018 avec une accélération depuis les années 1960s. D’ici 2100 le niveau des océans augmenterait de 0,28 m à 0,55 m dans un scénario optimiste tandis qu’une hausse de 0,63 m à 1,02 m est attendue si la hausse d’émission de GES se poursuit. La réponse de l’océan est plus longue que celle de la hausse de la température et se poursuivra sur des centaines voire des milliers d’années même dans le cas de scénarios de réduction drastiques des GES.

Référence : Arias, P. A., N. Bellouin, E. Coppola, R. G. Jones, G. Krinner, J. Marotzke, V. Naik, M. D. Palmer, G-K. Plattner, J. Rogelj, M. Rojas, J. Sillmann, T. Storelvmo, P. W. Thorne, B. Trewin, K. Achuta Rao, B. Adhikary, R. P. Allan, K. Armour, G. Bala, R. Barimalala, S. Berger, J. G. Canadell, C. Cassou, A. Cherchi, W. Collins, W. D. Collins, S. L.Connors, S. Corti, F. Cruz, F. J. Dentener, C. Dereczynski, A. Di Luca, A. Diongue Niang, F. J. Doblas-Reyes, A. Dosio, H. Douville, F. Engelbrecht, V. Eyring, E. Fischer, P. Forster, B. Fox-Kemper, J. S. Fuglestvedt, J. C. Fyfe, N. P. Gillett, L. Goldfarb, I. Gorodetskaya, J. M. Gutierrez, R. Hamdi, E. Hawkins, H. T. Hewitt, P. Hope, A. S. Islam, C. Jones, D. S. Kaufman, R. E. Kopp, Y. Kosaka, J. Kossin, S. Krakovska, J-Y. Lee, J. Li, T. Mauritsen, T. K. Maycock, M. Meinshausen, S-K. Min, P. M. S. Monteiro, T. Ngo-Duc, F. Otto, I. Pinto, A. Pirani, K. Raghavan, R. Ranasinghe, A. C. Ruane, L. Ruiz, J-B. Sallée, B. H. Samset, S. Sathyendranath, S. I. Seneviratne, A. A. Sörensson, S. Szopa, I. Takayabu, A-M. Treguier, B. van den Hurk, R. Vautard, K. von Schuckmann, S. Zaehle, X. Zhang, K. Zickfeld, 2021, Technical Summary. In: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S. L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M. I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J. B. R. Matthews, T. K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu and B. Zhou (eds.)]. Cambridge University Press. In Press.

Lire le rapport : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/

Glossaire

1Magnoliophyte : division de plantes vasculaires du groupe des Spermatophytes (les plantes à graines). Ces végétaux, qui portent des fleurs puis des fruits, sont couramment appelés plantes à fleurs.

2AIS : Automatic Identification System en anglais ou système d’identification automatique (SIA) ; un système d’échanges automatisés de messages entre navires par radio VHF qui permet aux navires et aux systèmes de surveillance de trafic de connaître l’identité, le statut, la position et la route des navires se situant dans une zone de navigation.

3Zone Économique Exclusive (ZEE) : un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains et économiques en matière d’exploration et d’usage des ressources naturelles. Elle s’étend à partir de la ligne de base de l’État jusqu’à 200 milles marins (370,42 km) de ses côtes au maximum.

4Statocystes : Le statocyste est un organe de l’équilibre sensible à la gravité chez les invertébrés (Cnidaires, Cténophores, Bilatériens) et chez les plantes.

5Cryosphère : toutes les portions de la surface des mers ou terres émergées où l’eau est présente à l’état solide.

L’auteur

Arnaud Abadie est un écologue marin et un photographe subaquatique. Biologiste marin en Méditerranée pendant dix ans, il est désormais chargé d’études milieu marin à l’Agence de l’Eau Artois-Picardie. Arnaud est le fondateur de Sea(e)scape et l’un de ses contributeurs régulier.

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