Navires de pêche

Un lien entre la surpêche et le cycle du carbone dans les océans

Les cycles biologiques de l’océan sont fortement liés à leur capacité à stocker du carbone et à produire de l’oxygène. Les poissons ciblés par la pêche font partie intégrante de ces cycles et leur capture incontrôlée a réduit drastiquement leurs populations au cours des dernières décennies. La surpêche a-t-elle une influence sur la capacité de pompage du carbone atmosphérique ? Une équipe scientifique américano-européenne s’est penchée sur le sujet.

Poissons et cycle du carbone

L’océan mondial dispose d’un immense système de pompage du carbone atmosphérique, capable d’enfouir dans ses profondeurs environ un tiers des émissions de CO2 d’origine humaine. Deux systèmes de pompage sont à l’origine de ce phénomène : une pompe physique grâce à la circulation des masses d’eau, et la pompe biologique qui dépend de la biomasse présente dans l’océan.

Nos connaissances sur le système de pompage biologique du dioxyde de carbone concerne principalement le phytoplancton, le zooplancton et les bactéries qui participent au cycle respectivement via la photosynthèse, la prédation et la respiration. L’implication des poissons dans ce cycle est beaucoup moins connue. Leur position au sommet de la chaîne alimentaire (ou à son voisinage) les fait activement participer à la séquestration du carbone par leur prédation de proies. Les déjections et les cadavres de ces poissons constituent un piégeage du carbone accumulé au fil de la chaîne alimentaire en se déposant sur le fond des océans.

Les fluctuations de la population des poissons a donc un effet sur la pompe biologique du carbone à l’échelle de la planète. Depuis plusieurs décennies l’un des principaux facteurs modifiant la biomasse des poissons sur le globe est l’activité de pêche. Si les stocks de poissons sont évalués avec attention, peu d’études se sont concentrées sur l’influence de la surpêche sur le cycle du carbone.

L’impact de la surpêche

Pour évaluer de façon quantitative le rôle des populations de poissons dans le cycle océanique du carbone et l’impact de la surpêche, une équipe internationale composée de scientifiques américains et européens a réalisé un travail poussé de modélisation mathématique. La première étape de ces recherches a consisté à quantifier les populations de poissons ciblées par la pêche avant l’exploitation commerciale de masse de leur stocks. Cette biomasse a ainsi été évaluée à 3,3 gigatonnes (ou 3,3 milliard de tonnes), celle-ci produisant 9,4.gigatonnes de biomasse par an par transfert d’énergie dans les communautés de poissons (métabolisme) en consommant environ 2 % de la production primaire4 de l’océan.

L’impact de la surpêche des poissons sur leur biomasse globale et le cycle du carbone. Traduit de Bianchi et al. (2021).

Ces chiffres sont tout autres à l’heure actuelle de l’exploitation de la ressource à l’échelle de la planète (appelé aussi pic de capture). La biomasse des populations de poissons ciblées par la pêche a ainsi chuté à 1,1 gigatonnes soit une diminution de 66 %, tandis que le taux de génération de biomasse est aujourd’hui estimé à 5,5 gigatonnes par an ce qui correspond à une réduction de 42 %.

Cette réduction drastique des populations de poissons ciblées par la pêche, et par extension de leur rôle dans la génération de biomasse, a de profondes répercutions sur le cycle du carbone et des nutriments de l’océan profonde. Les fèces des poissons sont ainsi une source importante d’éléments nutritifs pour les organismes en profondeur et participent au flux vertical du carbone océanique qui mène à sa séquestration. Cette étude révèle que l’ensemble des populations de poissons (celles ciblées par la pêche et celles non-ciblées) participe à hauteur de 20 % de la respiration et de la séquestration du carbone en profondeur par le système de pompage biologique. A cet effet néfaste et massif de la pêche commerciale s’ajoutent ceux du réchauffement climatique qui auraient contribué à une réduction d’environ 5 % de la biomasse de poissons au cours du dernier siècle.

Notre surexploitation des stocks de poissons ne conduit donc pas seulement à une érosion de la biodiversité marine à grande échelle mais également à une accélération du changement climatique en modifiant le cycle océanique du carbone via la pompe biologique. L’océan n’a pas une capacité de stockage du carbone infinie et toute perturbation de sa capacité à pomper le CO2 de l’atmosphère induit d’importants changements pour le climat à la surface de notre planète.


Référence : Bianchi, D., Carozza, D. A., Galbraith, E. D., Guiet, J., & DeVries, T. (2021). Estimating global biomass and biogeochemical cycling of marine fish with and without fishing. Science Advances, 7(41), eabd7554 : https://www.science.org/doi/pdf/10.1126/sciadv.abd7554


Glossaire

1Biomasse : matière organique d’origine végétale, animale, bactérienne ou fongique, utilisable comme source d’énergie.

2Phytoplancton : l’ensemble des organismes végétaux vivant en suspension dans l’eau.

3Zooplancton : plancton animal. Il se nourrit de matière vivante, certaines espèces étant herbivores et d’autres carnivores.

4Production primaire : vitesse à laquelle se biosynthétise au niveau de la biomasse une quantité donnée de matière organique à partir de matière minérale et d’un apport d’énergie.

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