La cymodocée : une autre plante marine de Méditerranée

La posidonie est la plante marine la plus connue de Méditerranée mais ce n’est pas la seule à avoir un rôle écologique important et à bénéficier d’un régime de protection renforcé. La cymodocée (Cymodocea nodosa) forme elle aussi des immenses prairies dans les zones côtières de Méditerranée. Cette plante à la croissance survitaminée est un puits de carbone bleu et constitue un habitat pour de nombreuses espèces marines. Malgré les services écosystémiques importants fournis par la cymodocée, nos connaissances concernant notamment ses aires précises de répartition, sa capacité de stockage du carbone ou encore ses interactions avec d’autres espèces de plante marine sont encore minces.

Petite mais costaud !

L’image classique des prairies sous-marines de Méditerranée est celle de grands espaces colonisés par des plantes aux longues feuilles d’un vert sombre ondulant au rythme des courants marins. Elle correspond aux herbiers des posidonie (Posidonia oceanica), une Angiosperme1 dont les longues feuilles pouvant mesurer plus d’un mètre, les rhizomes écaillés et les racines lui permettent de former des structures complexes en trois dimensions. Mais quel est ce petit gazon vert fluo que l’on peut voir parfois devant la plage ?

La cymodocée (à gauche) côtoie souvent la posidonie (à droite) comme ici devant une plage de Hyères dans le Var. Photo : Arnaud Abadie.

Beaucoup plus fluette que sa cousine, la cymodocée (Cymodocea nodosa) a des feuilles beaucoup plus courtes (quelques dizaines de centimètres) et plus étroites (4 millimètres). Sa durée de vie est également plus courte soit une dizaine d’année. Comme beaucoup de nos plantes terrestres, la cymodocée obéit à des cycles saisonniers et perd ses feuilles en hiver. Il ne reste alors plus que ses rhizomes qui sont enfouis dans le sédiment.

Morphologie des rhizomes, des racines et des feuilles de la cymodocée. Illustration : Adolf Engler (1910).

Avec une vie aussi courte il faut la vivre à fond ! La cymodocée est capable de coloniser rapidement les fonds marins des zones calmes grâce à deux modes de reproduction : asexuée et sexuée. Très pratique pour occuper de nouveaux territoires à vitesse grand V, la reproduction asexuée utilise des fragments de rhizomes pour produire un clone de la plante.

La reproduction sexuée est plus lente mais permet un enrichissement génétique qui favorise la survie de la cymodocée à long terme. Pour cela la plante marine dispose de fleurs mâles (de couleur rouge) et de fleurs femelles qui s’épanouissent entre avril et octobre. Après les fleurs viennent les fruits qui contiennent les graines qui sont dispersées dans l’eau par les courants.

Une fleur mâle de cymodocée. Photo : Sylvain Lebris.

Une pionnière de l’occupation du sol

Maintenant que vous connaissez les secrets de la vie de la cymodocée, il est temps de s’intéresser à ses terrains de prédilection en lien avec son rôle écologique. En effet notre plante marine survitaminée est ce que l’on appelle une espèce pionnière dans les successions écologiques. Voyons ensemble à quoi correspond tout cela.

La succession écologique est un phénomène naturel d’évolution et de développement d’un écosystème au travers d’un enchaînement de stades. L’étape initiale est la colonisation d’un substrat nu tandis que la phase finale (théorique) est appelée le stade climacique. Une espèce pionnière fait ainsi partie des premiers organismes à coloniser un milieu du fait de son adaptation à des conditions environnementales difficiles (peu de matière organique disponible, températures extrêmes, faible exposition lumineuse, etc.).

Application des successions écologiques à la cymodocée. 1) Substrat nu. 2) Colonisation du sédiment par la cymodocée (pionnière). 3) Colonisation du substrat par la posidonie. 4) Herbier de cymodocée à proximité d’une prairie de posidonie ancienne sur matte (stade climacique). Illustration : Arnaud Abadie.

Après ce petit aparté du côté des théories écologiques retournons sous l’eau voir ce qu’il se passe avec la cymodocée. Cette dernière fait partie des premières espèces végétales marines à coloniser le sédiment ou la matte nue de posidonie. La conquête de ces terrains vierges n’est pas une sinécure. La cymodocée entre en compétition pour l’espace avec d’autres espèces végétales comme les caulerpes, des algues vertes indigènes (Caulerpa prolifera) ou non-indigènes (Caulerpa cylindracea) à la Méditerranée.

Un bon exemple de compétition entre les espèces végétales marines de Méditerranée. La cymodocée et la caulerpe (ici Caulerpa cylindracea) peuvent compétitionner pour l’espace. La posidonie (en arrière-plan) en revanche est spectatrice. Photo : Arnaud Abadie.

Au travers de ses racines et de ses rhizomes, la cymodocée a une action chimique et physique sur le sédiment qui favorise son développement. Ses feuilles lui permettent d’utiliser le gaz carbonique dissous (CO2) et la lumière du soleil pour produire de l’oxygène via la photosynthèse. Cette oxygénation de son environnement proche permet à d’autres organismes marins de vivre au sein des prairies formées par la plante.

Parallèlement ou suite à l’installation de la cymodocée, d’autres espèces viennent coloniser à leur tour le substrat. C’est le cas notamment de la posidonie qui correspond au stade climacique des successions écologiques des fonds marins côtiers de Méditerranée.

Les deux voisines méditerranéennes : la cymodocée (à gauche) et la posidonie (à droite). Photo : Arnaud Abadie.

Jusqu’où ira la cymodocée ?

Notre pionnière sous-marine est ainsi capable de coloniser de larges surfaces des fonds marins de quelques centimètres jusqu’à 50 m de profondeur (ce que peu de plantes marines sont capables de faire) ! Si dans les grands fonds la cymodocée forme des herbiers éparses monospécifiques2, il en va différemment à faible profondeur dans les lagunes méditerranéennes ou elle n’hésite pas à se mixer avec d’autres espèces de plantes marines (comme la zostère naine Zostera noltei ou Ruppia spiralis).

Les progrès en matière de cartographie des fonds marins réalisés durant les dernières décennies permettent désormais de connaître avec exactitude les surfaces occupée par la cymodocée sur nos côte. La résolution de l’imagerie acoustique du fond nous permet notamment de cartographier de larges portions du fond. A plus petite échelle spatiale, la photogrammétrie sous-marine apporte une résolution millimétrique sur de petites zones pour détecter les prairies de cymodocée.

Une mosaïque photographique des fonds marins du Cap Corse réalisée par photogrammétrie. Il est possible d’y observer les prairies de cymodocée et celles de posidonie. Source : Seaviews (https://www.cartosub.fr/corse/fiume_santu.htm?lon=9.25630769298&lat=42.7073933577).

Ces données surfaciques sont indispensables aux gestionnaires des espaces marins côtiers pour préserver ces herbiers qui assurent de nombreuses fonctions écologiques.

Un gazon sous-marin aux fonctions surprenantes

Les pelouses de cymodocée ont beau être courtes et parfois éparses, elles n’en restent pas moins un habitat important pour de nombreuses espèces marines côtières. C’est le cas notamment pour la grande nacre (Pinna nobilis), un bivalve3 endémique de méditerranée dont les populations sont actuellement menacées. Les herbiers de cymodocée abritent également d’autres mollusques comme des gastéropodes (murex) ainsi que des échinodermes comme les concombres de mer. Plusieurs espèces de poissons affectionnent également les herbiers de cymodocée comme le rason (Xyrichtys novacula).

Les restes d’une grande nacre (Pinna nobilis) dans un herbier de cymodocée en Corse. Photo : Arnaud Abadie.

La plante elle-même, en dehors de sa fonction d’habitat, assure également un rôle important pour les autres écosystèmes marins en produisant de la matière organique. Comme nous l’avons vu plus haut, la cymodocée perd ses feuilles en hivers qui sont ensuite exportées dans le milieu marin par les courants. Cette matière organique est primordiale pour nourrir d’autres organismes marins. En se décomposant sur le fond elle permettra également les développement d’autres espèces végétales.

Même lorsqu’elles voyagent la cymodocée et la posidonie sont inséparables. Ici l’export de matière organique est bien illustré avec des feuilles de posidonie prises dans un rhizome de cymodocée comportant encore quelques feuilles. Photo : Arnaud Abadie.

A l’instar de la posidonie, la cymodocée est également un important puits de carbone en le stockant dans le sédiment grâce à ses rhizomes et ses racines. Les prairies de cymodocée contribuent ainsi à l’absorption du CO2 atmosphérique via la pompe marine biologique du carbone. Une équipe de chercheurs espagnoles a estimé en 2020 que la valeur économique de ce service écologique s’élève à environ 1300 € par hectare de prairie de cymodocée. Si l’on considère la totalité des surfaces couvertes par la plante sur les côtes françaises cela représente plusieurs millions d’euros.

Le mot de la fin

La cymodocée est encore relativement peu étudiée en comparaison d’autres plantes marines comme la posidonie. L’impact de certaines activités humaines, comme l’ancrage ou le développement urbain en milieu côtier, est cependant évident. Ainsi, de par son rôle écologique et économique important, la cymodocée est une espèce protégée en France depuis 1988 au même titre que la posidonie. Il est donc strictement interdit de collecter, transporter ou détruire toute partie morte ou vivante de la plante.

Trace d’ancrage dans une prairie de cymodocée en Corse. Photo : Arnaud Abadie.

Face à la régression des prairies constatée depuis plusieurs dizaines d’années, des mesures de gestion ont été mises en place dans le but de prévenir toute destruction d’herbier. Afin d’accélérer la récupération de la cymodocée, des essais de restauration sont en cours avec la mise au point de protocoles de transplantation.

Glossaire

1Angiosperme : plante vasculaire qui porte des fleurs puis des fruits. Les Angiospermes sont couramment appelées plantes à fleurs.

2Herbier monospécifique : prairie de plantes marines formé par une unique espèce d’Angiosperme. Lorsque plusieurs espèces sont présentes on parle alors d’herbier plurispécifique.

3Bivalve : une classe de mollusques aquatiques. Cette classe comprend notamment les palourdes, les huîtres, les moules, les pétoncles et de nombreuses autres familles de coquillages.

Pour en savoir (beaucoup) plus

Bañolas, G., Fernández, S., Espino, F., Haroun, R., & Tuya, F. (2020). Evaluation of carbon sinks by the seagrass Cymodocea nodosa at an oceanic island: Spatial variation and economic valuation. Ocean & Coastal Management, 187, 105112.

Frejefond, C., Bellan, G., Abadie, A., Pelaprat, C. (2021). Association à Cymodocea nodosa sur SFBC. In La Rivière et al. (2021) Fiches descriptives des biocénoses benthiques de Méditerranée. 660P https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03573568/

Menicagli, Virginia, et al. “Early evidence of the impacts of microplastic and nanoplastic pollution on the growth and physiology of the seagrass Cymodocea nodosa.” Science of The Total Environment (2022): 156514. https://arpi.unipi.it/bitstream/11568/1147279/1/Cymodocea%20Pre-Print.pdf

Pérez-Ruzafa, Angel, et al. (2012) Cymodocea nodosa vs. Caulerpa prolifera: Causes and consequences of a long term history of interaction in macrophyte meadows in the Mar Menor coastal lagoon (Spain, southwestern Mediterranean). Estuarine, Coastal and Shelf Science 110 : 101-115.

Terrados, J., & Ros, J. D. (1992). Growth and primary production of Cymodocea nodosa (Ucria) Ascherson in a Mediterranean coastal lagoon: the Mar Menor (SE Spain). Aquatic Botany, 43(1), 63-74.

L’auteur

Arnaud Abadie est un écologue marin et un photographe subaquatique. Biologiste marin en Méditerranée pendant dix ans, il est désormais chargé d’études milieu marin à l’Agence de l’Eau Artois-Picardie. Arnaud est le fondateur de Sea(e)scape et l’un de ses contributeurs régulier.

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